Lettre à mon grand-père Louis Noé

Cher Louis,
Te souvient-il de ce jour d’avril
Où tu rencontras Léonie ?
Le ciel était-il bleu ?
Le vent chassait-il les nuages ?
La pluie ruisselait-elle sur ton visage ?
Léonie était belle et tout à son ouvrage
Te vit-elle arriver sur ce chemin de terre
Qui de la forteresse conduisait au village ?

Te souvient-il du premier rendez-vous
Derrière les églantiers ?
Et le premier baiser, le lui as-tu volé ?
Osas-tu dénouer le tablier bleu de Léonie
Et soulever ses jupons ?

Te souvient-il de ce vingt juin
Où elle et toi convolèrent
Le jour anniversaire de ses vingt-et-un ans ?
Avait-elle une robe à volants ?
Portait-elle un voile blanc ?
Te souvient-il de ces alliances d’or
Gravées de vos deux noms enlacés,
Louis et Léonie, Léonie et Louis.

Te souvient-il de la rue des Quatre Sentiers
Et de la maison louée à l’orée du village ?
Te souvient-il l’avoir soulevée au seuil bleu

De la maison neuve, rue Édouard Colson ?
Et du parfum du lilas mauve dans le jardin ?
Les petites voisines s’appelaient Louise et Marguerite
Tu voulais un enfant…
Combien de temps te fallut-il pour la convaincre ?
Mais comme elle était belle lorsque son ventre enfla
Sous le tablier bleu.

Te souvient-il du bonheur de ce jour de janvier
Où ta fille vint au monde ?
Le souvenir lumineux de ces quelques mois si parfaits
T’a-t-il accompagné tout au long des couloirs
De ce fort immobile et glacé
Où tu fus mobilisé ?
Combien de lettres avez-vous échangées ?
Léonie savait lire, mais savait-elle écrire ?
As-tu pensé à celles que tu laissais
Quand survint l’explosion ?
As-tu frôlé du doigt, ainsi qu’un talisman
L’alliance qui vous liait ?
Tu la portais encore à cet instant fatal, je le sais.
Je l’ai vue, je l’ai touchée, je l’ai même portée.

À lire vos deux noms gravés sur l’anneau d’or
Découvert à ton annulaire, entre terre et gravats :
Léonie et Louis unis le 20 juin 1908,
Je devine – ou j’invente - une histoire d’amour
Mais est-elle bien vôtre ?