Il précède la maison. Il en est l’antichambre. Le sas, le passage obligé. Il est le rempart de notre intimité. Ne peuvent en franchir la limite que les habitants et les familiers. Il dissimule un mystère dont il a la clé.
Le magasin est indispensable à notre survie. Il nourrit la maisonnée. Nous ne l’habitons pas. Nous le traversons. Avec respect. Les objets qu’il recèle nous ne les touchons pas. Ils sont dépoussiérés, étiquetés, mis en lumière. Le magasin est largement ouvert sur la rue ; il est la face impudique et vénale de la maison. Le soir, les vitrines violemment éclairées captent les regards, invite silencieuse.
Le magasin, c’est la case au trésor : la caisse est cachée dedans. Il la veille jalousement. Nous n’avons pas le droit d’y puiser.
Le magasin est le domaine du père et de la mère. Ils y reçoivent des hommes et des femmes de passage : les clients. Le comptoir fait face à la porte vitrée. Notre entrée prend alors des allures d’intrusion. Nous troublons un colloque singulier. Les clients nous tournent le dos. Ils ont droit à des égards et doivent être salués, à haute et intelligible voix. Et parfois ne nous voient même pas. Nous préférons le magasin vide et la voie libre vers les profondeurs secrètes et rassurantes de la maison.
Le magasin est un maître exigeant. Il gouverne notre vie. La porte n’en est fermée à clé que la nuit. Quand tinte la sonnette, les parents quittent la table. C’est impératif. Nous lui devons tout. Nous nous plions à ses injonctions. Et nous mangeons froid.
Le magasin exige des soins constants. Lavé dès l’aube tous les jours que Dieu fait des salissures de tous ces souliers qui le foulent et le souillent. La nuit, il ne dort que d’un œil. Il couve. Le dimanche, il observe un repos vigilant. Le père ne l’abandonne jamais, même pendant les vacances.
Fermé, le magasin deviendra une coquille vide. La pièce restera à jamais l’antichambre, le sas, le passage obligé. On aura seulement bâillonné la sonnette.