Furieuse, la poétesse aux mains roides, braise aux yeux,
Sappho, sœur des Abymes, irrite par sa langueur
comme ces nonnes froides face aux hommes au souffle court.
Elle s’isole d’eux sans rite, en femme oublieuse
et souvent dédaignée, elle part en contrepoint,
arrache des poignées libertines dans leurs cheveux.
Puis, virevoltante d’accalmies, repue en
ces instants de gloire où sans façon rayonnait
de leurs joies la mémoire sans ces chœurs chantés
de barytones endormies … et n’avoir rien à redire.
Et à ses joues blêmies montait le sabbat
et caresses perdues en Moire en haut de mer
tandis que la diva noire est le vent où éclate
la voix que les Amies font à l’ange qui se venge.
"Sappho
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sappho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le long des grèves froides,
Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées ;
Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l’âme va redire aux vierges endormies :
Et voilà qu’elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l’appelle la Moire, -
Tandis qu’au ciel éclate, incendiant l’eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies."
Ce poème de Paul Verlaine figure dans le recueil Parallèlement, de ses Oeuvres poétiques complètes, La pléiade n°47 (éd. 1951; première édition: 1938)