La danseuse apprend à danser à son ombre.
Ce n'est pas facile.
Quand elle se tourne pour lui parler,
l'ombre timide s'efface derrière elle.
Elle a mis du temps, la danseuse,
à comprendre l'inutilité de son geste.
Elle lui parle maintenant sans la regarder.
Pas trop fort pour ne pas l'effrayer.
Suffisamment haut pour compenser
son absence d'oreilles.
Bientôt l'ombre timide de la danseuse
se débrouille mieux que la danseuse.
Sa grâce vaporeuse se détache souvent
de l'aura de la danseuse,
maintenant qu'elle est sûre
que la danseuse ne se retournera pas.

Elle virevolte l'ombre, pirouette,
tournique, tournille, tournaille,
vrille, bascule parfois.
Fais gaffe, l'ombre !

Le plus dur pour l'ombre,
c'est d'amener doucement la danseuse
à suivre les mouvements de son ombre
car l'ombre danse mieux que la danseuse.
Elle s'accroche à elle,
tend ses fils invisibles mais fermes,
applique son aura ombragée
à la petite aura de lumière.
Elle l'amplifie, la magnifie, l'embellit.
Et la danseuse se sent portée
par un élan qui lui vient
du fin fond d'elle-même.
D'elle ne sait où.
Qui lui fait du bien, la bonifie.

Souvent l'ombre de ma main sur le papier
porte mes mots au delà de moi-même.
Laissez-vous porter par votre ombre.
Lucky Luke l'a bien compris, lui !

1994-1995


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