De la mésologie appliquée, ou quand le compliqué devient complexe pour se faire, par moments, de plus en plus souvent, complice.
Ah les petites réjouissances étymologiques matinales !
J’use depuis quelque temps d’une métaphore adjectivale pour définir à la fois le parcours personnel entrepris au travers de la mésologie, et le cheminement perçu de la mésologie telle qu’elle se déploie sous mes yeux écarquillés, à mesure que j’y pénètre, portant davantage attention à la co-créativité des objets au cœur de la démarche mésologique, de nature très amplement philosophique.
Et voilà que je découvre, innocence due à une décosmisation (privation, perte) subie du vocabulaire, sûrement, que les trois adjectifs sont liés par l’étymologie. Voyez plutôt ce qu’en dit le Grand Robert:
Com[-]pliqué vient du latin complicare « lier, rouler ensemble » et, au fig., « embarrasser ». Le cum (avec) adjoint à plicare.
Com[-]plexe a pour origine complecti qui signifie « contenir ». Le cum adjoint « plecti ».
Com[-]plice provient du bas latin complex, -icis « uni étroitement », qui, lui, remonte à « complecti ». →Complexe
Bref: tout est lié, roulé ensemble, contenu, étroitement uni !
Et j’en infère, maladroitement j'en conviens, parce que mon parcours personnel a d'abord (et entre autres) cheminé vers la systémique, que de cette liaison, de cet enroulement, de cette union étroite entre des concepts qui se co-construisent, serait née une systémique mésologique, en forme d'hypothèse. Et je comprends mieux la pertinence de mon long embarras face à la mésologie, dont je percevais le génie (ÉTYM.1532, Rabelais; lat. genius « divinité tutélaire », au fig. en lat. impérial « inclination, talent ».), le talent donc, sans rien en com[-]prendre, ou à peu près.
La mésologie, une philosophie talentueuse pour le XXIe siècle ?
hm
Systémique ?
Je me demande si Monsieur A. Berque accepterait d’envisager de voir une nouvelle station de métro baptisée Mésologie sur la ligne 3 qui va de Thomas d’Aquin à Prigogine dans l’ouvrage co-écrit par Luc de Brabandère et Anne Mikolajczac, intitulé Les philosophes dans le métro, éd. Le pommier/essais, 2014. Le premier auteur se situe dans la mouvance générale de Monsieur J. de Rosnay.
D'autres stations sur la ligne 3 ont pour noms Palo Alto, Hegel, Descartes, Monsieur E. Morin, Escher et Mme I. Stengers.
Citation:
« L'idée de système a connu après la Deuxième Guerre mondiale un développement à la fois soudain et puissant. Divers penseurs, dans des champs parfois très différents, se sont retrouvés dans une étonnante métaphore qui a été jusqu'à se baptiser 'approche systémique'. Des disciplines pourtant éloignées se sont approprié un vocabulaire identique: 'paradoxe', 'seuil', 'émergence', 'boîte noire', 'équilibre', 'rétroaction', 'complexité', 'paradigme'. ... Une théorie sans théorèmes s'est ainsi construite en opposition à Descartes dont la méthode commandait de découper le tout en parties. Les 'systémistes' privilégient, eux, l'approche globale. Ils considèrent que les éléments d'un ensemble ne prennent toute leur signification que par rapport à un tout. L'oeuvre d'Edgar Morin, penseur de la complexité, en est une belle illustration. » 42-43
Existerait-il une approche systémique de la mésologie ?
La mésologie n’est-elle pas une systémique à elle toute seule, différente mais non concurrente de l’approche systémique générale, bien documentée par ailleurs ? La mésologie s'approche-t-elle de façon systémique ?
Certains termes relevés par les deux auteurs pour décrire la systémique sont: Paradoxe, seuil, émergence, boîte noire, équilibre, rétroaction, complexité, paradigme. J’y serai désormais attentif en continuant de lire sur la mésologie.
Déjà, j’ai entendu le mot rétroaction dans la bouche de Monsieur A. Berque (Poétique de la terre 1 ou 2) ; et lu paradigme dans l’article de 2010, §17 tandis que Hegel est également cité.
Bien sûr, ce n’est pas parce que du vocabulaire s’emploie que cela en fait une systémique. L’hypothèse séduit toutefois cet écriveur-ci.
Je ne sais pas toutefois si la mésologie fait montre de cette tendresse toute subjective que porte le concept levé au cœur de la « réconciliation » telle que cet autre extrait nous la révèle: « La systémique permet même d'envisager une réconciliation entre les points de vue longtemps opposés de la biologie et de la thermodynamique (...). La théorie des systèmes dissipatifs valut ainsi au chimiste belge Ilya Prigogine le prix Nobel de chimie. » (43).
Qu'elle en fasse une synthèse qui dépasserait les parties, soit. Mais la réconciliation... J’ai l’intuition tout à fait empirique que la mésologie pourrait participer d'une approche, qui lui serait tout à fait propre, de nature généralement systémique, même si je n'ai pas encore croisé le terme chez Monsieur A. Berque (autre que écosystémique faisant référence à l'écosystème), et même si dans cet extrait ce qui est ré-con-cilié n’est en rien nommé et donc ouvert. En tout cas, le préfixe re est d’ample usage en mésologie.
L’étymon de réconcilier est d’origine religieuse; il achève de mettre la puce à l'oreille. Il est peut-être au cœur même d’un dualisme stérile, explicitement écarté par la mésologie... et la systémique. Comme quoi…rien n'est innocent, surtout pas le vocabulaire. Les deux auteurs belges proviennent de l'UCL, tandis que I. Prigogine enseignait à l'ULB et à Austin ! (Réconcilier ÉTYM.V. 1160, v. pron.; relig., absolt « donner l'absolution », v. 1170; lat. reconciliare « remettre en état; rétablir; réconcilier », de re-, et conciliare. → Concilier.)
La mésologie, une écosystémique ?
La systémique, une approche plus généraliste, moins précise, au cœur même de la mésologie ? Une simple boîte à outils ? En fait, il me répugne à utiliser le syntagme « système philosophique » à propos de la mésologie; en effet, trop souvent cela dérive en systématique, ce qu'elle n'est pas. C'est la raison pour laquelle le référent systémique m'est apparu séduisant à première vue, à défaut d'être opérant, après triturage. Le versant mésologique est de loin plus fécond. À mesure que s'effectue le rapprochement ici, plus les deux sphères s'éloignent, comme s'il s'agissait de deux galaxies différentes ne se voulant pourtant aucun mal !
À chaque âge d’homme sa grille du monde. La systémique est/était sur le chemin. La mésologie en solidifie(rait/ra) davantage le parcours.
Bon. Revenons à nos moutons !
Néo-logiques.
La mésologie, qui est peut-être une systémique philosophique (ou pas !), est vitalement reliée à la néologie. Cela constitue d’ailleurs une de ses difficultés d’approche pour celles et ceux qui sont hors courant/ ceux qui ne sont pas au courant.
Les concepts catalysés à diverses sources, très souvent orientales, sont neufs comme le sont les « étiquettes » pour les désigner.
L’auteur est conscient de cet obstacle et parsème son œuvre de notes définitoires, voire même de lexiques (voir Écoumène, 83-84). Il s’y attache avec bienveillance à en préciser les contours, à la fois dans ses livres récents, mais aussi dans de nombreux articles ainsi que dans des entretiens vidéo, viens-je de découvrir tout récemment !
Il l’observe lui-même dans un de ses entretiens, ces concepts évoluent avec le temps et il est le gardien temporel de cette évolution. Il s’en fait volontiers l’historiographe à l’occasion. Cette évolution conceptuelle tend vers davantage de transparence, comme on le dit d’une aube pointant le nez sur un ciel diaphane.
Ce mouvement, je le perçois ainsi, il se concrétise (il prend forme) ainsi au cœur même de ce processus d’immersion (j'y tiens, à cette métaphore !):
1. il a pour départ le très/le trop compliqué (voire l’obscur, avec l’acception que prend cet adjectif dans le titre du dernier roman de T. Hardy, Jude the Obscure, 1895… côté tragique du final en moins !), comme le sont probablement beaucoup de systèmes poétiques à leur naissance; et sans qu'il soit inféré que tout le poids de cette peine doive être mis sur le compte de l'auteur; rather the reader, I'm afraid;
2. il prend ensuite pied dans le complexe, une pensée qui se construit en marchant est souvent une pensée complexe; elle s’épure volontiers de concepts inopérants, évite ces chemins creux aboutissant in the middle of nowhere, se détourne désormais de chantoirs refermés, d'ouvroirs abandonnés;
3. ce mouvement s’épanouit ici et maintenant en un trajet beaucoup plus complice; cela semble être devenu un souci majeur pour l’auteur, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.
Maîtrisant comme jamais les arcanes lumineux de son sujet, il en a perçu les ramifications porteuses et s’attache à mettre au net une complexité étonnante et complice, offrant à ses lecteurs et lectrices un malaxage du réel (et rien que le réel, mais tout le réel) qui lui donne tout son sens.
Il suffit pour s’en convaincre de s’approprier le titre des trois parties de Poétique de la terre: recosmiser, reconcrétiser, réembrayer. Les traitements de texte ont beau ignorer ces trois verbes - le préfixe les perturbe dans deux cas sur trois -, les humains que nous sommes comprennent plus ou moins l’étiquette sur la bouteille… bien sûr le contenu se mérite, en confiance ! Complicité n’est pas simplicité… Sur ces chemins de traverse, à l'écart des modes et des coteries, la ceinture de sécurité reste de mise !
Monsieur A. Berque a réalisé beaucoup de vidéos (sur youtube ! Ou comment détourner les instruments de la post-modernité atone à son profit…). Il y façonne d’un rythme calme une pensée qui se réfléchit en parlant, exposant posément les concepts en usage. Les quatre montages d'une dizaine de minutes chacun sur la poétique de la terre valent détour approfondi.
Semaisons
J'ai commencé à parcourir la toile à la recherche d'articles disponibles de l'auteur. J'ai en effet constaté qu'ils complètent bien l'effort explicatif entrepris dans les trois derniers ouvrages de l'auteur: Mésologie, Poétique de la terre et Formes empreintes, formes matrices, Asie orientale. Mes excuses pour ces quatre liens autoréférentiels; il me semble pourtant pertinent de vous y renvoyer pour que vous saisissiez l'intérêt que revêt la mésologie et les raisons de l'intérêt qui y est porté sur nulle part.
Dans un article paru en 2009 dans la revue L'espace géographique, qui s'institule: Les travaux et les jours. Histoire naturelle et histoire humaine, l'auteur s'attache à établir un lien logique entre l’évolution et l’histoire. S’y glanent:
- L’être humain concret constitue un corps social éco-techno-symbolique avec les machines dans leur milieu concret qui constitue le complément nécessaire de notre corps animal.
- Ce corps social vit la vie de son corps animal et des écosystèmes « dont il est non moins nécessairement constitué. »(2009, 74)
Le TOM, ce topos ontologique moderne, vit dans un habitat qui « en est venu, au cours de l’histoire, à détruire la nature (au sens écologique) au nom de la nature comme représentation. » (id) Autrement dit, la nature que l’homme moderne a en tête, se représente, est fort éloignée de la nature (au sens écologique) au point même qu’il la détruit/l’a détruite pour faire « vivre de mort »1 la nature telle qu’il se la représente. Le TOM, pour faire vivre sa propre représentation de la nature est amené / en est venu à « détruire la nature (comme fait écologique) ». (2009, 73)
- Notre mode de vie actuel a pour trait géographique majeur l’urbain diffus – cet « habitat insoutenable » (2009, 73) - « qui repose concrètement sur l’usage de l’automobile individuelle. » (2009, 74)
L’urbain diffus est habitat insoutenable car il est:
1. non durable écologiquement en détruisant la biosphère;
2. injustifiable éthiquement en ce que s’aggravent ainsi les inégalités entre les hommes pourtant nés égaux en droit;
3. inacceptable esthétiquement en dégradant [de façon irrémédiable souvent] les paysages (2009, 73, note 2).
Ces trois arguments sont formulés de telle sorte qu'il peut même s'envisager de les utiliser sous cette forme percutante dans un débat concernant le (dés)aménagement d'un territoire communal (municipal) en étendue de terres livrées aux financiers optimiseurs de leurs seuls profits. Au détriment de la collectivité donc.
- Enfin, sur le hasard, ceci, qui a le mérite d’être limpide: Le hasard n’obéit à aucune logique. « Le hasard, c’est n’importe quoi, n’importe quand, n’importe où. » (2009, 80) Cela devrait clore le débat stérile (parce que dualiste) du hasard et de la nécessité… dépassé depuis longtemps, mais auquel se raccrochent encore de nombreux partisans, au nom d'une pensée magique sous baxter.
1996: l’auteur publie un ouvrage: Être humains sur terre. Principe d’éthique de l’écoumène (non lu). Quatorze ans après, il a ressenti le besoin/la nécessité d’actualiser les thèses qu’il y défendait. De les faire évoluer. Il en rend compte dans la revue VertigO. L'article s'intitule: « Des fondements ontologiques de la crise, et de l'être qui pourrait le dépasser »
Le propre d’une systémique dynamique (!?) est d’évoluer, semant des traces précises de ces étapes évolutives afin d’en toujours pouvoir retracer la genèse & le cheminement, son histoire.
Dans cet article, il y est fait bel usage non-mécanique du mot « embrayage » dans le sens de s’entraîner l’un l’autre au moyen d’un troisième (etc.), ce qui devient plus que la somme de ses parties et autre chose. Le réembrayage est un concept au « menu » de la troisième partie de Poétique de la terre.
Ajours
Que l’auteur éprouve le besoin, voire la nécessité (et qui sait, la joie même ?) de créer des ajours sur sa philosophie, de mettre périodiquement au jour, à jour, d’éclairer sous un jour moins compliqué, sans rien perdre de sa complexité, dans sa capacité désormais à rendre cette systémique mésologique (?) complice de ses lecteurs et ses lectrices, cela en re-trace d'humilité profonde le parcours si philosophique.
Soulignons enfin le souci constant de notre auteur de situer sa démarche dans des lignées de chercheurs, de penseurs qui ont cherché/pensé avant lui. Agissant de la sorte, il validerait sa propre démarche à l'aune d'autorités peut-être2 mieux établies.
Notes
1 Formulation et concept empruntés à Hegel nous est-il expliqué; il est sur la ligne 3...
2 Je ne suis personne (et je parle de nulle part, c'est assez dire !) pour être davantage affirmatif. Seul l'auteur pourrait le dire. Et encore... En tout cas, l'humilité de la démarche l'honore. Il a le souci de montrer que ses recherches/pensées ne sortent pas de rien, ex nihilo, qu'elles s'insèrent dans un continuum choisi, s'abreuvant à la fois à des rives occidentales et orientales.