Essai définitoire

La plus expresse marque de sagesse
est une joie constante.
Montaigne, Livre I, ch. 26
(source cd Frémeaux, enregistrement par M. Piccoli)1

 

La joie est un calage trajectif. Cela paraît fort péremptoire, dit ainsi. Ce texte va s'employer à vous présenter les données brutes qui permettent de formuler ainsi cette hypothèse.

J’ai récemment pris le temps de répertorier quelques joies personnelles ressenties, actuelles et plus anciennes. En parallèle à ce catalogue personnel, qui n’a pas sa place ici, une réflexion sur la terminologie mésologique en voie d’appropriation s’est formulée.Vous en faire profiter ? Je vous propose une exploration définitoire en trois temps: 1. CALAGE (étymon & mésologie), 2 TRAJECTION & 3. POINT DE VUE PHILOSOPHIQUE SUR LA JOIE.

J'ai aussi constaté une cinquantaine d'occurrences du mot joie sur ce site, concentrées sur 2014 & 2015.

Voici pourquoi la joie est un calage trajectif.


1. CALAGE
1.1 Étymologiquement, le premier sens de caler vient de (V. 1165;) l’ancien provençal calar « abaisser », du lat. c(h)alare, grec khalan « détendre, laisser aller ». → Déchaler.
J’aime assez cette notion de détente, de se laisser aller, qui nous vient du latin et du grec. Voici ce que dit le Grand Robert des sens portés par le verbe caler [kale], premier sens:

ÉTYM.V.  1165;  anc.  provençal  calar « abaisser »,  du  lat.  c(h)alare, grec  khalan « détendre,  laisser  aller ».
→Déchaler.
I  V. tr.
1  .  Maritime.  Baisser,  abaisser (un  mât,  une  vergue).  Caler  une  vergue,  une  voile.  Caler  un  mât  de  hune. —
Absolt. Caler bas; caler à mi-mât.
◆ Loc. fam. (Vx). Caler la voile : se radoucir, rabattre de ses prétentions, de ses exigences. ➙ Filer (doux).
2  (1524).  Absolt  (ou  intrans.).  Cour.  Céder  (devant  qqn);  renoncer.  ➙ Céder,  1. reculer.  Il  fut  obligé  de  caler
(Académie). Il a calé devant l'adversaire, devant la difficulté. Il a fini par caler (par céder; et aussi, par s'arrêter;
→2. Caler, 3.). — REM.On trouve chez G. Sand la var. caller. 1 2
◆ Fam. Ne plus pouvoir continuer (à manger, etc.). Il a calé sur le cassoulet. Ça suffit, je cale !
3  Caler une ligne de pêche, un filet, les enfoncer dans l'eau.
II  V. intr.
1  Maritime. (En parlant d'un navire). S'enfoncer dans l'eau. ➙ Calaison. Ce navire cale trop de l'arrière.— (Avec
un compl. interne). Ce bateau cale six pieds.
2  Régional  (Québec).  S'enfoncer (le  sujet  désigne  un  être  animé,  le  verbe  a  une  valeur  progressive).

En appliquant, par détournements, à la joie:

- il s’agit d’abaisser les défenses, les freins qui retiennent le corps d’exprimer pleinement sa joie profonde, la joie qu’il conserve dans ses profondeurs;
- il s’agit de baisser la garde posée là par une quelconque bienpensance sclérosée, figée;
- en quelque sorte de s’enfoncer dans la joie, d’y laisser le corps s’en imprégner.

La joie est un bonheur à être soi. Elle participe du bonheur à être soi.

1.2 Pour la mésologie

1.2.1 CALAGE
Ce bonheur à être plus continûment un soi joyeux (une joie soyeuse) est un CALAGE de soi sur cet état d’être. Pour la mésologie, le calage trajectif est analogue à L’APPARITION D’UNE NOUVELLE FORME DE VIE. Une fois qu’elle est apparue, elle est « là pour rester » si ce calage n’est pas fortuit, mais essentiel, touche à la matrice même de l’être.
La définition, qui recouvre une nouvelle forme de vie apparue, semble s’être installée de la sorte dans ce corps-ci.
La personne que je suis ne nie rien, ne renie rien de ce qu’elle a été mais ne l’est plus. Il s’agit bien de L’APPARITION D’UNE NOUVELLE FORME DE VIE dans ce corps-ci.
Quelqu’un qui n’aurait pas assisté à ce calage ne me connaît plus.

Bon voilà pour le calage. Qu’en est-il de la trajection ?


2. TRAJECTION
Ce terme est un néologisme créé pour les besoins de la mésologie: jacere, jeter; trans, au-delà, par-delà. Voir le lexique mésologique pour davantage de détails. Il est normal que le dictionnaire n'en dise rien. La trajection consiste à se jeter au-delà de l’identité, à traverser la limite entre sujet et objet, sujet et environnement. C’est cela que pratique aussi le tantra ex-rouge, désormais énergétique, tel qu’il s’expose dans le recueil Un écartement convenable sur Nulle part.
La trajection vise explicitement à combler le gouffre instauré par le dualisme entre sujet et objet.
Ce gouffre est un vide. Le sens en géologie2 soutient le sens en mésologique de la joie: « Géol. et cour. Vaste cavité creusée par les eaux de ruissellement dans les terrains calcaires. »
C’est comme si3 une séance mémorable récente avait comblé ce gouffre, ce vide laissé par des scories de dualisme d’origine chrétienne, comme l’est une bonne partie de l’Occident.
Ce n’est pas parce que je suis devenu laïque, puis agnostique intellectuellement, que le corps avait forcément compris la manœuvre intellectuelle et suivi dans sa chair. C’est comme si la séance récente avait compris qu’il s’agissait de combler ce gouffre, ce vide de l'entre-deux, comme laissé là en déshérence.
C’est comme si subitement il venait de s’incarner non dualiste dans sa chair profonde !
Comme si, en traversant le gué qui séparait le bain dans un milieu très imprégné d’une religion monothéiste et celui (le bain) de l’agnosticisme, le corps était resté coincé au milieu4, sans le savoir, mais en en ressentant les effets déséquilibrants.
D’avoir atteint une rive plus ferme/ moins instable va permettre au corps de laisser apparaître (de se laisser aller à) une nouvelle forme de vie, puis une autre encore etc.
Chaque mue présidant à ces apparitions se traduirait alors par

☯  une évolution,
☯  une transition,
☯  une transversalité,
☯  une traversée,
☯  un transfert vers.

Grâce aux soins énergétiques réguliers, c’est comme si le corps s’autorisait désormais à incarner, à traduire dans sa chair le calage trajectif.


Un tableau de synthèse sur le calage trajectif ?

CALAGE TRAJECTIF
Prend la forme d’une apparition d’une nouvelle forme de vie. Il s’agit de traverser, de transférer ces nouvelles formes de vie en dehors de contrées anciennes, pleines de vides.
S’atteler à lui faire vivre ces nouvelles formes de vie lui permettra d’en définir ces formes. Il s’agit de remplir petit à petit ces nouvelles formes de vie
☯  en faisant apparaître, comme des bulles qui éclatent à la surface d’une eau calme,
☯  puis en comblant les gouffres laissés par la vie dans le corps qui ne savait pas.
Cela reste encore conceptuellement vague pour le moment parce que cela s’imbrique intensément dans le vécu quotidien. Même si cet essai définitoire participe à l’évidence de la clarification. C’est probablement ce qui est arrivé lors de cette séance de la JOIE PLEINE.


Il s’agit toujours de ma vie, de la vie qu’anime ce corps-ci qui lui aussi prend de nouvelles formes en se peaufinant étape par étape.
Les formes dont il est question sont à la fois physiques (la marche, la taille, le sourire omniprésent, etc.) mais aussi, en harmonie avec ces transformations, mentales.
C’est ici (& ainsi) que prend (aussi) place pas à pas l’appropriation de la mésologie.
Et j’apprécie au plus haut point le tramage (est-ce un calage, ou plutôt une convergence ?) entre écartement convenable et mésologie soit aussi finement tissé. La solidité obtenue semble être de bonne tenue, malgré les nombreux ajours encore.
Il me convient d’être un terrain d’application, un lieu de convergence entre un tantrisme énergétique (non religieux donc) & une philosophie du dépassement de soi par dissolution étagée dans le plus grand que soi.
Être corps au croisement, à la convergence, de ces univers-là est BONHEUR PLAISANT & JOYEUX ! Il est permanent & fait mieux partie intégrante de la matrice corporelle désormais.


3. POINT DE VUE PHILOSOPHIQUE SUR LA JOIE
(version A. Comte-Sponville)
Enfin,  parce  que  l’œuvre  de  ce  philosophe  fait  partie  du  terreau philosophique qui a contribué à former et à rendre permanent l’intérêt manifeste  pour  la  philosophie,  voici  ma  lecture  de  la  notice  JOIE  dans  le dictionnaire philosophique de André Comte-Sponville en style télégraphique:

☯  Un affect fondamental dont nous avons tous une expérience. « La joie naît lorsqu’un désir intense est satisfait, lorsqu’un malheur est évité, lorsqu’un bonheur arrive. »
☯  Jouissance spirituelle/spiritualisée.
☯  Ré-jouissance. La joie est l’élément du bonheur, minimum dans le temps, maximum en intensité.
☯  On n’imagine pas le bonheur sans la joie, mais la joie peut exister sans le bonheur. On peut être joyeux sans être heureux.
☯  La joie, c’est une SATISFACTION MOMENTANÉE DE TOUT L’ÊTRE.
☯  C’est un acquiescement à soi et au monde.
☯  Épicure: plaisir en mouvement de l’âme.
☯  Spinoza: accroissement de puissance, passage à une perfection supérieure.
☯  Quelque chose en elle – ou en nous – lui interdit de durer.
☯  De là, le désir de béatitude, d’éternité, le rêve du bonheur.
☯  La joie, c’est l’étoile du berger de l’âme.
☯  Spinoza: la joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection, c-à-d une plus grande réalité.
☯  La joie est passage à une réalité supérieure, un degré supérieur de réalité.
☯  Se réjouir, c’est exister davantage.
☯  Joie = intensification de notre puissance d’exister et d’agir.
☯  La joie = plaisir d’exister plus & mieux.

Cette  approche  « sonne »  plus  classique  et  s’intègre  dans  l’histoire  de  la philosophie  en  faisant  appel  à  Épicure  et  Spinoza,  deux  filiations manifestes pour A. Comte-Sponville, & pour moi à son humble suite.

Or donc: La joie est un calage trajectif.


1 « Le signe distinctif le plus net de la sagesse est une constante bonne humeur: son état est comme celui des choses sous la lune: toujours serein. » (in Montaigne, Les Essais, en français moderne, Édition complète, Quarto, Gallimard, 2009, p. 198. Cette adaptation en français moderne, nous la devons à André Lanly. Son adaptation révèle que la joie de Montaigne est une constante bonne humeur, ce qui est aussi une vérité probable.
2 Une erreur de frappe m’avait fait écrire égologie en lieu et place de géologie. Joli glissement caractériel par inversion de deux lettres ! Mais qu'est l'égo face à gê, la terre ?
3 La pratique du comme si est fertile… Elle essaime !
4 H. Wismann dirait l'entre-deux...


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