Titre Poétique de la Terre 2 |
Auteur Augustin Berque 1 |
Sous-titre Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie 3 |
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Monsieur A. Berque use d'une pensée complexe; il a su la transformer ici en pensée complice. Précision: cette complexité ordonnée se fait petit à petit plus complice. Faire montre de pareille évasure sur notre écoumène est devenu rare. L’auteur semble user de l’abouti d’un esprit parti depuis longtemps à la recherche de cohérences fondatrices. L’ordonnancement poétique qu’il nous propose sur la terre est ici une forme d’aboutissement sur un chemin sans fin.
En écrivant ce livre si accrocheur par son titre déjà, étant donné cet intérêt personnel porté à la poésie comme genre littéraire et comme pratique, son auteur a peut-être voulu que les lecteurs s’évasent. Premier évasement personnel, notamment, en découvrant que l’absence de référents à la langue grecqueest un trou dans une culture (je fais avec cet anhellénisme, & le vis bien, mais c’est un trou!):
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Titre: Poétique de la terre
Il faudra atteindre la page 204 pour trouver un décodage venant du grec du terme « poétique » (et d’entendre distinctement sonner un aha ! – version courte du « Mais bon sang, c’est bien sûr ! », dans Les Cinq dernières minutes, avec R. Souplex !):
POÏÊSIS a le sens en grec de « création, fabrication, conception » (PT 204). Il s’agirait en quelque sorte d’observer la conception, la fabrication, la création de la terre dans le cerveau de l’homme. D’apprécier mieux comment il chemine vers davantage de sens mieux accordés aux milieux dans lesquels ils vivent. Les deux piliers de la mésologie sont le milieu et l'histoire (PT 169, 2e partie Reconcrétiser, ch VII Admettre le tiers §34 En deçà du bond mystique), d'où le sous-titre de l'ouvrage.
Lire PT et finir par en percevoir un peu mieux la portée, c’est se confronter à un multiculturalisme érudit, c’est augmenter son poids spécifique1. Cela permet d’embrasser tout à la fois:
- géographie (ce décrire la terre, un lieu, un paysage, un territoire caractérisé);
- philosophies orientales (ces façons d’être ailleurs, notamment au Japon, en Chine, en Inde), mais aussi occidentales (la liste des références serait trop longue à établir ici; elle se construira à mesure de la progression);
- philologie/linguistique/étymologie (ce dire comparatif avec des langues inconnues, indiquant des manières si différentes d’être soi);
- encyclopédisme: A. Berque expose ici plus clairement que par le passé – dans une densité & avec un poids spécifique considérables – l’universalité de savoirs maîtrisés par lui et son équipe.
S’embrasse, en lisant PT, un cercle de connaissances, de concepts endimanchés de neuves liaisons notionnelles glanées à l'Orient qui s'épanouissent devant nous dans une ramure propre à ce multiculturalisme érudit. Les enchaînements denses qui nous sont présentés apparaissent à l'aune d'une concentration optimale du soi lisant. Reading it is best done by sipping the text through.
Tout ce livre nous fait tendre vers davantage d’authenticité (p. 58, §12).
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Sous-titre: Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie
La page 156 formule de façon concise « l’objet du présent ESSAI», à savoir [formulation personnelle] donner du sensà et déployer la pensée platonicienne au-delà du terme chôra, au-delà d’elle-même en quelque sorte, car pour Platon elle restera en définitive inintelligible, inexplorée par delà le modèle et sa copie, « exclue par le logos ».
Notes
1 Le père de l'auteur, Jacques Berque, avait donné ce conseil à Jean Sur, se définissant alors comme un homme de 35 ans « qu'à peu près tous les secteurs de sa vie plongeaient dans la perplexité »: « Augmentez votre poids spécifique », in Jacques Berque, Jean Sur, Les Arabes, l'islam et nous, Mille et une nuits, n°110, 1996, p. 32.
CHÔRA | = « milieu spatial » interprété comme « le milieu où se reproduit le devenir. » Pour Platon (Le Timée = le milieu), la chôra primitive est un « milieu amorphe qui reçoit tous les corps. (il) occulte ainsi…. La dimension originaire de la contrée qui était perceptible au premier matin de la pensée. » Pour A. Berque toutefois, la chôra n’est pas « si décisivement que cela distincte de la contrée ‘matinale’ des présocratiques; car elle est trop étroitement liée aux choses. » PT 38 et suiv. |
Il s’agira tout au long de cet essai brillant de réconcilier, de réembrayer l’histoire humaine à l’histoire naturelle, de réembrayer l’écoumène à la biosphère « dans lequel l’Interprète n’est plus un simple objet mais un sujet. » PT 203 Mais aussi, et préalablement, de recosmiser et de reconcrétiser.
Les Contrées, Jacques Abeille nous en déploie le Cycle romanesque – picaresque presque – en une série-culte dont je suis par ailleurs un adorateur inconditionnel. J’en avais concrètement perçu l’étendue, les contours, en suivant page à page les pérégrinationsemmenées par l’écriture habitée de cet écrivain d’exception. Il était apparemment nécessaire que cette approche se fit d’abord concrète (Reconcrétiser, 2e partie), physique presque (mentalement physique, disons) pour me préparer à aborder bien plus tard cet ouvrage-ci. Nothing personal though, ce livre s’adresse à tous. Juste un balise posée sur un chemin.
Nous avons à faire à un ESSAI dont nous devons la mise au jour à Montaigne, comme nous le révèle Le Grand Robert:
(1580, Montaigne). Mod. Ouvrage littéraire en prose, de facture libre, traitant d'un sujet qu'il n'épuise pas en réunissant des textes (➙Mélange, 4.). Montaigne a le premier en France donné le nom d'« Essais » à un ouvrage littéraire, en prenant comme sujet les essais ou expériences de sa vie. Auteur d'essais. ➙Essayiste.— Essai philosophique, critique, historique, politique, scientifique, esthétique. Essais, de Bacon. Essai philosophique concernant l'entendement humain, de Locke. — Essai sur l'homme, de Pope. — Essai sur les mœurs et l'esprit des nations, de Voltaire. Essai sur l'origine des connaissances humaines, de Condillac. — Essai sur la peinture, de Diderot. — Essai sur les fondements de la psychologie, de Maine de Biran. — Essai sur l'indifférence en matière de religion, de Lamennais. Essais de critique et d'histoire, de Taine. — Essai sur les données immédiates de la conscience, de Bergson. Essais critiques, de R. Barthes.
21 Enfin, toute cette fricassée que je barbouille ici n'est qu'un registre des essais de ma vie (…) J'ai assez vécu, pour mettre en compte l'usage qui m'a conduit si loin. Pour qui en voudra goûter, j'en ai fait l'essai, son échanson. En voici quelques articles, comme la souvenance me les fournira. MONTAIGNE, Essais, III,13.
22 Elles (ces études)ont ce caractère commun d'être des essais, au sensle plus véritable de ce terme. On n'y trouvera que le dessein de préciser quelques idées qu'il faudrait bien nommer politiques, si ce beau mot de politique, très séduisant et excitant pour l'esprit, n'éveillait de grands scrupules et de grandes répugnances dans l'esprit de l'auteur. VALERY,Regards sur le monde actuel, p. 11.
23 À l'inverse, le pas pris par le roman sur la poésie et l'essai figure seulement, et malgré les apparences, une plus grande intellectualisation de l'art. CAMUS,le Mythe de Sisyphe, p. 137.
À voir les noms fastueux qui apparaissent dans cette notice lexicographique, l’auteur s’affilie à une lignée depenseurs qui se sont essayéavant lui à la synthèse de leur pensée propre. Cet essai est une synthèse, il fait œuvre philosophique & littéraire en prose; il est de facture libre, selon la disposition de l’auteur à y organiser librement la matière qu’il nous présente selon un ordre qui tient du cheminement d’une pensée complexe. Il n’en épuise pas le sujet, certes, il le présente dans un tramage précisant les contours de la mésologie. La mésologie, c’est du logossur le milieu, si l’on s’en tient à l’étymologie: Élément, du grec mesos « au milieu, médian », entrant dans la formation de mots de science.
MÉSOLOGIE | Partie de la biologie qui traite des milieux humains. La mésologie établit une relation causale entre le milieu (essentiellement physique) et les comportements humains. La mésologie considère que la réalité de tout milieu résulte d'une chaîne trajective (voir §36). Théorie des milieux; synonyme de géographie. PT 93 / MESO 33 / PT 174 / S&A 165 |
A. Berque nous en rappelle la filiation. Le terme est dû à Charles Robin, disciple d’Auguste Comte. Le sens ci-dessus, extrait du lexique, est Berquien. A. Berque y intègre « la phénoménologie herméneutique » (Watsuji; plus tard, plus tard…) « dans l’étude des milieux humains. » (9).
La mésologie « s’ordonne autour d’une question centrale: Comment passe-t-on de … la terre ou de l’environnement à ce qui est le milieu propre à un certain sujet – individu, culture ou espèce ? » (9) La terre et l’environnement sont des bases objectives, sont des objets; où sont les milieux subjectifs par rapport à ces objets ? La mésologie va dès lors s’employer à nous décrire ce passage de l’objet au sujet. Il s’agit probablement ici d’une formulation en français de l’équation formellement empruntée au langage logique qui apparaît de façon récurrente dans l’ouvrage: r = S / P. Il est trop tôt pour nous embarrasser de logique pour l’instant.