Essai empathique

Plan

L'empathie chez Vinciane Despret
Première définition terminologique
Un peu d'histoire
Carl R. Rogers
Deuxième définition philosophico-terminologique de l'empathie
Où le malaise s'explique
Les deux sources principales


L'empathie chez Vinciane Despret

L'auteure, au détour d’une des nombreuses questions qui rythment un de ses ouvragesi, redéfinit l’empathie en la dépouillant de son PATHOS, dit-elle: cette « empathie sans pathos serait donc une forme d’empathie technique qui ne se fonde pas

  • sur un partage d’émotions mais
  • sur la création d’une communauté de sensibilité visuelle,
  • sur un talent bien plus cognitif qu’intuitif

puisque c’est nous qui catégorisons ce processus. » 71


J’en déduis cette première définition terminologique:

L’empathie technique serait un processus cognitif, voire une procédure cognitive, faisant appel chez l’humain à un talent

  • qu’il s’agirait d’exercer en le fondant sur la création d’une communauté de sensibilité visuelle, dépouillée de sa dimension émotionnelle partagée;
  • qui s’exercerait en créant une communauté visuelle avec un animal, dépouillée de sa dimension émotionnelle partagée
    • en prêtant attention aux détails visuels non-verbaux,
    • portant notre attention sur des détails visuels non-verbaux.

Il me semble que cette définition pourrait aussi tenir la route en remplaçant l’animal par un autre humain.


Un peu d'histoire, telle qu'elle affleure dans les Dictionnaires & Encyclopédies

L'élément formant Patho vient du grec Pathos qui signifie « ce qui arrive », « expérience subie, malheur, émotion de l'âme » nous dit le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey (2016), tome II p. 1650. L'étymologie semble obscure et une des deux hypothèses formulées évoque « la racine indoeuropéenne qui signifie lier et que l'on retrouve en sanskrit & dans les langues germaniques ».

Le même dictionnaire atteste d'empathie en « 1909 dans la Revue néoscolastique de Louvain composé de em- (en-) qui veut dire dedans et de patho "ce qu'on éprouve". Cette formation semble s'être effectuée en anglais où empathy est attesté dès 1904, pour traduire l'allemand Einfühlung, mot employé par T. Lipps, créateur du concept en psychologie (1903). »

La notice consacrée à Theodor Lipps ( 1851 - 1914 ) par Wikipedia précise encore ceci: « Il développa la notion d'empathie (traduction d'Einfühlung, un terme forgé par Robert Vischer [1847 - 1933] en 1873). » Il a d'abord signifié/été traduit par sympathie esthétique pour ensuite l'être par empathie.

Ma Britannica au format papier, de quarante ans d'âge, déterrée pour l'occasion, précise, après avoir rappelé la même origine allemande, (Micropaedia, III, p. 879) que

« The term is used with special (but not exclusive) reference to aesthetic experience. The most obvious example, perhaps, is that of the actor or singer who genuinely feels the part he is performing. With other works of art, a spectator may, by a kind of introjection, feel himself involved in what he observes or contemplates.  »


Carl R. Rogers

Toutefois, pour mieux attester la définition terminologique déjà esquissée plus haut, j’ai sollicité plus avant La Léonardienne, cette bibliothèque qui s’est construite autour de moi & au sein de laquelle je me suis construit à mon tour, en en extrayant un ouvrageii de Carl Ransom Rogers (1902 – 1987) dans lequel il définit également l’empathie de personne à personne. C'est d'ailleurs chez lui que j'ai pour la première fois creusé ce concept.
« Qualitatively, empathic understanding is an active process

  • of desiring to know the full, present & changing awareness of another person,
  • of reaching out to receive his communication & meaning,
    and
  • of translating his words & signs into experienced meaning that matches at least those aspects of his awareness that are most important to him at the
    moment.

It is experiencing of the consciousness « behind » another’s outward communication, but with continuous awareness that his consciousness is originating and proceeding in the other. » 143-144


C. R. Rogers attire ensuite l’attention sur l’existence d’une « accurate empathy scale » mise au point par Truax en 1967. Elle comportait huit étapes, dont il nous précise la première et la huitième.
Il indique que le processus empathique peut être défini de plusieurs façons :

  • théorique,
  • conceptuelle,
  • subjective, &
  • opérationnelle.

« Even so, we have not reached the limits of its base. »
Il cite pour étayer son propos un extrait d’un « rap manual » s’employant à définir l’écoute absolue qui inclut une section sur « how to know when you’re doing it right ». Il en conclut ceci :
« So it seems clear that empathic way of being although highly subtle conceptually, can also be described in terms which are perfectly understandable by contemporary youth & citizens of a beleaguered inner city. It is a broad-ranging conception. » 146
Dans la conclusion du chapitre, il insiste sur le fait que le processus empathique n’est pas le seul facteur important dans des « growthful relationships ». 160
La congruence « or genuineness involves letting the other person know where you are emotionally. It may involve confrontation & the straightforward expression of personally owned feelings – both negative & positive. Thus, congruence is a basis for living together in a climate of realness. »

Le paragraphe suivant 160 insiste sur un aspect que nous trouvons également développé chez V. Despret:

« But in certain other special situations, caring, or prizing, may turn out to be the most significant element. Such situations include NONVERBAL RELATIONSHIPS (my capitalizing) – between parents & infant, therapist & mute psychotic, physician & very ill patient. Caring is an attitude that is known to foster creativity – a nurturing climate in which delicate, tentative new thoughts & productive processes can emerge. »


Deuxième définition termino-philosophique de l'empathie

La comparaison de ces deux définitions enrichit la palette des caractères définitoires de l'empathie tout en permettant de compléter une définition à la fois de nature à la fois terminologique & philosophique, le à la fois faisant référence à ce qu'A. Berque nomme, dans son propre système mésologique d'interprétation du monde, le tiers inclus:

  • l'empathie est une une pratique relationnelle respectueuse à la fois de soi & de l'autre qui se déroule sous la forme
  • d'une procédure, qui tend à devenir un processus de plus en plus complexe à mesure qu'il s'intègre mieux à la pratique,
    • en grande partie de nature cognitive,
    • mais l'empathie est aussi susceptible de devenir intuitive à force de pratique,
    • c'est-à-dire qu'elle tend, par une pratique régulière, à devenir un processus à la fois cognitif & intuitif (« dans une immédiateté à la fois temporelle & spatiale qui relève de l'intuition, non de la dialectique », A. Berque),
  • permettant,
    • par un mouvement de va-&-vient entre le cognitif & l'intuitif,
  • une meilleure compréhension entre des êtres phylogénétiquement proches (mammifères ?),
  • reposant sur l'établissement d'un lien de confiance fort & progressivement réciproque à mesure que la confiance entre les deux s'installe
    • disposant
      • du verbal,
      • du visuel non verbal,
      • du relationnel non verbal, incluant le tactile,
    • qui se renforcent l'un l'autre
      • de telle sorte que le lien de compréhension mutuelle en sorte renforcé.

Il s'agit d'une pratique vertueuse qui est susceptible de renforcer la puissance d'agir des individus qui s'y adonnent, en rendant leur vie plus heureuse car la pratique de l'empathie procède d'un désir de progresser & de s'accomplir.


Où le malaise s'explique

Au chapitre G comme Génies de l'ouvrage de Vinciane Despret, a good question, isn't it: Avec qui les extraterrestres voudront-ils négocier ?

L'entame me laisse rêveur:

« La vache c'est un herbivore qui a du temps pour faire les choses. » C'est Philippe Roucan, un éleveur, qui propose cette définition: « La vache est un être de connaissance, écrit quant à lui Michel Ots. Elles connaissent, dit-il, le secret des plantes; elles méditent en ruminant « ce qu'elles contemplent, ce sont les métamorphoses de la lumière depuis les lointains cosmiques jusque dans la texture de la matière. » Certains éleveurs n'ont-ils pas affirmé à Jocelyne Porcher que les cornes des vaches sont ce qui les lie à la puissance du Cosmos. »

Euh... Awè, mfi. Rastrind, èdon ! aurait dit ma Grand-Mère Marie (1889 - 1975), en son très pur wallon liégeois.

Bon, c'est du grand n'importe quoi, mais cela m'étonne sous la plume de V. Despret. Il y a bien la distanciation d'un DIT-IL et un QUANT À LUI, m'enfin bon cela flaire son anthropomorphe à plein nez, non ? Du Peter Wohlleben appliqué aux vaches. (le lien renvoie vers un ouvrage-antidote de Jacques Tassin aux délires soutenus du markéting multilingue réducteur... tout comme l'est, antidote, celui d'Eduardo Kohn, intitulé Comment pensent les forêts.

L'ouvrage Despretien livre lui-même la clé du malaise ressenti. Je suis rassuré: mon côté rêveur s'est étonné à raison, vous l'allez voir.

Le livre se conclut sur de précieuses Précisions d'usage qui permettent à son auteure de sourcer de façon très originale les informations qu'elle nous livre.

À G comme Génies, la clé:

À propos des vaches reliées par les cornes à la puissance du cosmos, Jocelyne Porcher précise qu'elle l'a entendu de la bouche des agriculteurs biodynamistes qui se référaient aux « Cours aux agriculteurs » de Rudolf Steiner.

Ben voilà l'origine du malaise: quand on est abonné au Monde Diplomatique, on a forcément lu l'article de Jean-Baptiste Malet intitulé L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme paru en juillet 2018. L'article vaut son pesant d'or brut... Je vous invite à le découvrir, tout comme je vous invite à explorer les nombreux liens que le texte & les notes de bas de page recèlent. Vous en serez effaré·e comme je l'ai été, à n'en pas douter. Allez jusqu'à vous pencher sur les extraits de bouse de corne (encore des cornes, décidément, il faisait une fixation sur les cornes, le petit Rudolf !) qu'il s'agit pour tout biodynamiste de pulvériser ses cultures pour être autorisé à se revendiquer du cahier des charges "certificatif" DEMETER. À la page 49... du Cahier des charges Production agricole... Si si, je vous le jure ! La France n'hésite pas, elle, à ranger la biodynamie et l'anthroposophie sur l'étagère des sectes.

Le seul souhait que je pourrais exprimer est celui-ci: si, un jour, une deuxième édition avec mise à jour de l'ouvrage Desprétien voyait le jour, il y aurait peut-être lieu pour l'auteure d'y intégrer ces données dans le chapitre et de ne pas les réserver aux Précisions finales d'usage, pour ironiser à leur propos, voire à trouver d'autres contacts animaux pour de soi-disant extraterrestres supposés vouloir nous contacter, voire même utiliser le G pour développer un autre point... de vue ! Car ce n'est évidemment pas rendre service à la science que de promouvoir pareils effarements. À moins que ne m'ait vraiment échappé une forte ironie autorale...


Les deux sources principales

Le référentiel propre aux papillonnages philosophiques internes au site Les Éditions de Nulle Part s'hébergent quant à eux dans les hyperliens parsemant le texte.

Les deux sources en livrée sur l'empathie:


i Vinciane Despret, Que diraient les animaux, si… on leur posait les bonnes questions ? Éditions La Découverte, poche, n° 415, 2014 (2012), 324p.

ii Carl R. Rogers, A way of being, Houghton Mifflin Company, Chicago, 1980, 395p.


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