Ont été rassemblés ici des passages de deux autres essais sur Nulle Part qui traitent du renversement des perspectives auquel Spinoza nous invite depuis trois siècles et demi. Robert Misrahi (1926-2023) était un spécialiste de Spinoza tandis que Jean François Billeter (1939) développe au fil de ses ouvrages concis, tous publiés aux éditions Allia, une pensée originale qu'il a originellement adossée à sa bonne connaissance de la Chine. À l'un et à l'autre sont consacrés un recueil propre sur Nulle Part.


De cet essai, Robert Misrahi et l'inconscient, ceci:

Les croyances... les mythes... les rites...» Il s'agit de s'en éloigner, s'il est possible. Cela me semble éclairer le processus qu'il voit à l'oeuvre pour la mise en joie de l'individu.
Dans le même ouvrage, il s'étend longuement sur la conversion à deux endroits. Ici 277-279, je voudrais me concentrer sur les trois renversements que notre auteur détaille dans
le processus de conversion - j'aurai à dire (voire à redire !) sur le choix de ce vocable:
1. premier renversement
Il s'agit d'inverser les perspectives cognitives sur le monde.
« À partir de ce premier renversement, une porte s'ouvre sur l'avenir du sujet: puisque déjà il invente les symboles & les situations, il est capable d'inventer encore, & d'inventer autrement & autre chose. Capable de créer mes valeurs & mes buts, je puis me concentrer sur ma nouvelle orientation, sur mon  nouveau désir. » 278
2. Deuxième renversement
« Le premier fut opéré par l'intelligence. Cette nouvelle inversion sera opérée & par l'intelligence & par l'affectivité. Il s'agit de renverser, d'inverser  l'orientation du Désir. Au lieu de le vivre comme un mouvement absurde, comme la vaine tentative de combler un manque indépassable, on peut le vivre comme étant la très légitime recherche du contentement & de la joie. Le Désir n'est pas condamné à l'échec, il est la perpétuelle reviviscence du  mouvement vers la satisfaction & la plénitude. » 279
3. Troisième renversement, le renversement du regard sur l'autre
Au lieu de traiter l'autre « comme un objet & un instrument (femme "soumise", esclave "monnayable", ouvrier "corvéable"), il s'agit de le traiter comme le sujet qu'il est.
Au lieu de déployer des relations de calcul et de réversibilité (par violence ou par "contrat"), il y a lieu, au contraire, de déployer des
relations de réciprocité. L'amour & l'amitié, la coopération & la solidarité pourraient ainsi être totalement renouvelés & ouvrir sur une autre vie & sur le "tout autre". » 279


De cet autre essai, Un paradigme, Jean François Billeter, cela:

5. « Comment se prend une décision ? » V n° 25
Une décision « se prend d’elle-même quand je parviens à mettre en accord mes besoins ou mes désirs avec les divers éléments de la situation dans laquelle je me trouve
- ou plutôt
[une décision se prend d’elle-même] quand tout cela finit par s’accorder en moi.
Mes décisions m’appartiennent, puisqu’elles ont leur origine en moi et
[
puisqu’elles] déterminent la suite de mon action,
et cependant
[mes décisions] ne m’appartiennent pas
parce que elles se forment sans que je sache comment
et
[parce que]
souvent [elles se forment] sans que je connaisse toutes les sources.
Certaines [décisions] naissent dans les profondeurs du corps, loin de mon activité consciente. » 113-114

Les mots-outils colorés de bleu (merci à Joomla et à son éditeur JCE !) font affleurer la structure syntaxique d'une pensée qui se déroule sous nos yeux. Elle nous permet de participer consciemment au processus, d'en devenir partir prenante.


6. Renversement
En accumulant les observations qui attirent son attention dans sa propre vie, JF B en arrive à formuler un concept qu'il nomme un RENVERSEMENT. Face à un processus similaire,
R. Misrahi le subdivise en trois renversements pour aboutir à ce qu’il nomme une conversion. Ces deux concepts semblent étiqueter le même type de basculement, de bornage. Pour chacun des deux, il y a un avant et un après.
Ce rapprochement entre deux philosophes qui ne semblent pas se lire* l'un l'autre est piquant. Il pourrait indiquer une constante sur leur chemin, et pourquoi pas sur le nôtre ?
J'incline à réfléchir plus avant sur l'universalité du processus. La modification de tracé que suit alors l'activité (une des traductions de Tao pour JF B) est remarquable en ce sens qu'elle foule alors une clairière aux lisières dégagées après avoir parcouru un long
tunnel obscur à tâtons. Le jour succède à la nuit.
* Je n'ai pas en mémoire une citation dans l'oeuvre de l'un renvoyant à celle de l'autre.


7. Les actes efficaces
n°18 p 78 Les actes efficaces surgissent dès lors de notre ouverture « à la dimension d’inconnu qui est en [n]ous ».

Du renversement qui s'opère graduellement affleure comme un pétillement de surface, une effervescence qui dégage un fumet. Une neuve orientation prend corps.
L’homme a la faculté de « laisser advenir l’improbable & de réorienter par là le cours des choses ».

Maintenir ouverte cette disposition à laisser surgir l’improbable de la dimension inconnue du corps, en

• l’accueillant d’un sourire,
• entamant une conversation avec des inconnus,
• étant disponible, etc.

permet peut-être de réorienter le cours des choses, le tracé d'une vie, son cheminement.

 

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