Tel est le désir tendu « à faire, dans la mesure de nos forces, tout ce qui se déduit de notre nature, » 307 in Spinoza & la sexualité

« LORSQUE,

pour une raison ou pour une autre,

nous devenons capables de produire plus d'effets qu'auparavant (nous réjouir est cela même),

nous nous efforçons nécessairement d'accomplir jusqu'au bout les OPÉRATIONS que notre aptitude nouvelle rend possibles;

DE CE SEUL FAIT, tel le fleuve qui creuse son lit en s'écoulant par où il peut, NOUS TENDONS À RESTER dans l'état qui autorise ces performances supplémentaires,

DONC

À CONSERVER

OU

À RÉACTUALISER

la cause

QUE nous lui assignons [au désir]

& QUE nous imaginons à travers lui◊ »

Mais la belle langue charniérée que voilà ! Alexandre Matheron reformule ainsi, actualise Éthique III, 12 et Éthique III, 13, scolie◊



Extraites du site de Julien Gautier, ces deux propositions, en latin et selon la traduction proposée par Robert Misrahi:

propositio 12 Mens quantum potest ea imaginari conatur quae corporis agendi potentiam augent vel juvant.

 L'Esprit, autant qu'il le peut, s'efforce d'imaginer ce qui accroît ou ce qui seconde la puissance d'agir du Corps. (Misrahi - fr)
propositio 13 Cum mens ea imaginatur quae corporis agendi potentiam minuunt vel coercent, conatur quantum potest rerum recordari quae horum existentiam secludunt.

Quand l'Esprit imagine des objets qui réduisent ou répriment la puissance d'agir du Corps, il s'efforce de se rappeler, autant qu'il le peut, ce qui exclut l'existence de ces objets. (Misrahi - fr)

 corollarium 3, prop 13, cor  - Hinc sequitur quod mens ea imaginari aversatur quae ipsius et corporis potentiam minuunt vel coercent.

3, prop 13, cor  - Il suit de là que l'Esprit répugne à imaginer ce qui réduit ou réprime sa propre puissance d'agir et celle de son Corps. (Misrahi - fr)

scholium 3, prop 13, sc  - Ex his clare intelligimus quid amor quidque odium sit. Nempe amor nihil aliud est quam laetitia concomitante idea causae externae et odium nihil aliud quam tristitia concomitante idea causae externae. Videmus deinde quod ille qui amat necessario conatur rem quam amat praesentem habere et conservare et contra qui odit, rem quam odio habet, amovere et destruere conatur. Sed de his omnibus in sequentibus prolixius.

3, prop 13, sc  - Nous pouvons ainsi comprendre clairement ce qu'est l'Amour et ce qu'est la Haine. L'Amour n'est rien d'autre qu'une Joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure et la Haine n'est rien d'autre qu'une Tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure. Nous voyons en outre que celui qui aime s'efforce nécessairement de conserver l'objet de son amour et de le rendre présent, celui qui hait s'efforçant au contraire d'éloigner et de détruire l'objet de sa haine. Mais on en traitera plus amplement par la suite. (Misrahi - fr)



PERSÉVÉRANCE

Assigner une cause au désir, imaginer une cause à travers le désir, conserve cette cause ou la réactualise◊ En résulte un état dans lequel nous tendons à rester, puisqu'il autorise ces performances supplémentaires◊

Spinoza nous laisse libres, libre à nous dès lors, d'attribuer à l'accroissement du désir l'une ou l'autre raison◊ Il se borne à établir le constat que le corps

  • est devenu capable de produire davantage d'effets (bénéfiques) qu'auparavant;
  • s'efforce nécessairement d'accomplir les opérations, d'agir jusqu'au bout... puisque notre aptitude nouvelle les rend possibles,

tel le soleil, inondant la main d'une lumière puissante en pointant son hivernal nez, rend possible de couper l'alimentation du LED sur le bureau, puisqu'il y est désormais sans utilité◊

Nous produisons des effets supplémentaires grâce à cette aptitude neuve◊ Ces effets supplémentaires nous permettent d'accomplir jusqu'au bout le désir qui tend à faire, dans la mesure de nos forces, ce qui se déduit de notre nature, c'est-à-dire ce qui semble aller de soi en fonction de notre nature désirante◊ C'est dès lors à encourager la persistance de ce désir que le corps s'attache◊

Spinoza, pas dupe, précise « dans la mesure de nos forces »◊ Il en saura les limites en mourant dans sa quarante-cinquième année◊ Même pour l'époque, c'est trop tôt◊

C'est donc à la conservation la plus satisfaisante pour le corps, la plus désirante, des forces à la fois physiques & intellectuelles qui nous animent toutes & tous qu'il s'agit de persévérer◊ Il s'agit de persévérer à conserver nos forces à la fois physiques & intellectuelles, dans la mesure exacte du possible accessible◊


INTÉGRATION

C'est justement ici que la lecture que fait Jean François Billeter de l'Éthique s'avère utile: il nuance cette persévérance en la mâtinant de l'idée d'intégration◊ L'intégration consiste à encourager le désir qui émane du corps à progresser & à s'accomplir autrement, à poursuivre son progrès personnel sur un chemin qui s'accomplit pas à pas dans la connaissance plus

  • complète,
  • précise,
  • fine,
  • autorisée

des lois de notre activité corporelle, donc de notre essence◊

Faire le constat d'un cheminement libre, tout cheminement suppose un mouvement, donc à nous d'en diriger librement le sens en une progression bien comprise, bien intégrée◊ Cette liberté cheminante déroule ses pas selon une nécessité intérieure au soi, plutôt que d'être guidée par une nécessité imposée du dehors◊

Un soi libéré, libre, en liberté, progresse

  • dans l'intégration de son activité, c'est-à-dire
  • dans le perfectionnement de soi◊

C'est agir selon sa nécessité propre◊

Plus nous agissons selon notre nécessité propre, plus nous sommes libres, libérés, en liberté◊


Intégrer la persévérance expliquée au moyen de l'exemple du fleuve pris par A. Matheron

S'employer à intégrer cette persévérance à la matière même du corps balise plus sûrement encore le cheminement de la voie qui se trace, tel le fleuve qui creuse son lit en s'écoulant par où il peut◊ Le fleuve établit son cours, la voie propre, son passage « là où il peut »◊ Derrière cette proposition de lieu peut se cacher « une nécessité imposée du dehors » (J F Billeter), mais aussi, autre sens de pouvoir, là où il en a le pouvoir, c'est-à-dire là où réside sa puissance d'agir en tant que fleuve, là où il peut progresser de manière sûre, assurée, davantage certaine◊


Il se peut que,

il est même probable que,

  • sur le temps long,

l'objet sur lequel s'exerce la puissance d'agir du corps,

  • qui comprend l'esprit,
  • qui l'intègre
  • & l'inclut,

voit son potentiel propre,

  • c'est-à-dire
    • sa puissance d'agir en fonction des circonstances,

glisser vers moins d'actitivités physiques en libérant ainsi davantage de temps pour d'autres activités de nature plus mentale, intellectuelle◊

Ce qui importe,

  • en optimisant constamment la puissance d'agir du corps,
  • en tenant compte de l'âge qu'il a,

dans un bon équilibre,

  • auquel celui-ci veille naturellement d'ailleurs, s'il est laissé libre,

c'est de laisser libre le corps de bien équilibrer les activités physiques & mentales au cours d'une journée,

  • en fonction de sa nécessité propre,
  • en écartant toute monotonie, toute répétition◊

C'est en s'exerçant la meilleure écoute possible de soi, que

  • la liberté de mouvement
  • & l'autonomie du corps

se maintiendront, à sa satisfaction pleine & entière◊


S'engager

Persévérer à intégrer de mieux en mieux la puissance disponible à agir du corps dans la matrice diversifiée des jours constitue un engagement à prendre pour soi aux fins de tenir, en soi, l'harmonie sereine qui y règne◊


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