C'est un véritable service public au sens profond de l'Éthique que rend la transcription minutieuse des cours publics dont Gilles Deleuze avait autorisé l'enregistrement lors des quinze cours qu'il lui avait consacrés fin 1980 début 1981. David Lapoujade nous rend un fieffé service en la mettant à notre disposition. Cette édition éclaire « les allusions et les raccourcis par un travail critique [d'adjonctions de notes de bas de age faisant référence à de nombreux passages d'autres ouvrages de Deleuze, précisant jusqu'à la page où le passage figure] qui fait de ce volume un précieux outil de travail. Précieux pour celui [et celle] qui veut s'initier tant à Spinoza qu'à la théorie deleuzienne elle-même. » * Je pressens à titre personnel que cet ouvrage requierera mon attention pendant les prochains mois de façons à la fois périodique et créative.

  • Le gain de temps que cet oeuvrage nous octroie,

(le temps de lecture est en moyenne trois fois plus rapide que celui de l'écoute, tandis que l'écriture sous dictée, s'il nous en était venu l'idée !, est elle-même au moins trois fois plus lente encore),

  • le dispensatoire d'une prise de notes fastidieuse au vol, jamais tentée pour la plupart d'entre nous, je le présume,
  • et la fixation sur le marbre [table de la presse à bras sur laquelle on place la forme, susurre le Grand Robert...] d'une pensée qui élucide de manière pérenne ses envolées à la fois sensuelles et conceptuelles d'une lecture inspirée de l'Éthique spinozienne

sont autant d'avantages décisifs qu'il me plait de souligner pour une lecture francophone sur l'oeuvre de ce philosophe avant gardiste du XVIIe siècle.

C'est un véritable hommage à la compréhension fine d'un raisonnement qui se déploie dans la durée sous nos yeux plutôt que dans nos oreilles. L'exégète y fait montre d'une dextérité, d'une créativité essentielle à une palpation des idées contenues dans ces écrits:

127, « L'éthique, ça veut dire: il n'y a pas de bien ni de mal, mais attention il y a du bon et du mauvais. »

128: « Donc l'éthique ne serait pas du tout cet art de se retirer de toute situation mais L'ART D'OPÉRER UNE ESPÈCE DE SÉLECTION AU NIVEAU DE LA SITUATON MÊME. Cet art de la sélection au niveau de la situation même... ce sera le premier sens ... de ce que Spinoza appellera la raison. »

Après un Sur la peinture, très apprécié déjà, ce Sur Spinoza s'apparente au joyau. La lecture virevoltante qu'en faisait G. Deleuze devant son public complète et densifie avec bonheur celle à laquelle Pierre Macherey a donné chair en 5 volumes désormais, série désormais complète par la grâce de la rrédition dans la collection Quadrige du 2e tome, depuis longtemps épuisé auprès de son éditeur (PUF).

J-C Martin, sur sa page Facebook, le 11 10 24: « Relisant Spinoza, je redécouvre l'ami Deleuze pour vivre et expérimenter ici et maintenant que nous sommes éternels... Rien moins que ça...»

Bien sûr G. Deleuze ne pouvait pas disposer de neuves traductions parues depuis le début des années 80. C. Appuhn et R. Caillois sont désormais moins des balises qu'un opposant pour le premier et un approximatif pour le second. C'est aussi à cela que j'envisage de consacrer du temps: vérifier dans plusieurs traductions postérieures s'il y a bien consensus sur le sens à accorder aux traductions reprises par Deleuze. Robert Misrahi, Bernard Pautrat, Maxime Rovere et surtout enfin Pierre-François Moreau ont fait avancer notre lecture de l'oeuvre de Spinoza de façon significative.


C'est parce que je ressens ce « plaisir hors norme que procure cet ouvrage: lire deux philosophes à la fois »* que j'ai choisi d'intituler cette chronique incitative de lecture SUR DELEUZE, rendant ainsi hommage au plus proche des deux, sur l'échelle du temps prise à rebrousse-poils.

* La citation provient de l'article que Nicolas Weil consacre à SUR SPINOZA dans le Monde des livres du 25 octobre 2024, p. 7.

 

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