L’AMOUR INTELLECTUEL DE LA NATURE |
Je dédie ce texte au cheval triste dans une prairie...
L’AMOUR INTELLECTUEL DE LA NATURE tel qu’il se déploie en ce jardin paresseux
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Le texte dans la colonne de gauche de ce tableau est de la main d'Éric Delassus. Il s'agit du dernier chapitre avant la conclusion d'un ouvrage librement téléchargeable en suivant ce lien. Ce chapitre a pour titre: L'amour intellectuel de Dieu. Je l'ai copié-collé à partir du fichier pdf résultant du téléchargement.
La seule modification que j'y ai opérée de manière automatique est le remplacement du mot « Dieu » par « la Nature ».
Michel Juffé, dans Café Spinoza, propose en effet de procéder à ce remplacement. Cela ouvre la lecture, cela la rend même plus compréhensible, pour le lecteur agnostique que je suis de l'oeuvre spinozienne. D'ailleurs, Spinoza l’autorise expressément Spinoza avec sa célèbre équivalence Deus Sive Natura. C'est Robert Misrahi qui, le premier, dans mon approche de la philosophie de cet auteur du XVIIe a attiré l'attention sur cette équivalence. |
Le texte dans la colonne de droite s'adosse à celui d'Éric Delassus dans la colonne de gauche. Il se l'approprie pour lui donner des inflexions qui me sont propres. Cela donne un texte autre qui prend une ampleur inédite pour le lecteur assidu & agnostique que je suis de l’oeuvre de Spinoza et de nombre de ses exégètes (FR/EN/NL). La lecture que je fais du texte modifié d’Éric Delassus est évidemment entièrement mienne en ce sens que j’y adosse des éléments qui gravitent dans la perception intuitive de la Nature que j’ai acquise dans le jardin à l’arrière de ma maison.
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Comme le fait remarquer Chantal Jaquet, Spinoza qui est souvent présenté comme un philosophe de la joie devrait plutôt être défini comme un philosophe de l’amour dans la mesure où le point ultime auquel conduit le parcours de l’Éthique est un amour constant et éternel envers la Nature73.
L’amour, sous sa forme passionnelle, se porte essentiellement sur des choses périssables et conduit généralement au flottement de l’âme, comme nous l’avons précisé précédemment. Il est donc nécessaire, pour que l’amour se trouve renforcé et qu’il ne soit plus entaché de tristesse, qu’il se porte sur une chose impérissable, c’est-à-dire sur une chose éternelle: Mais l’amour pour une chose éternelle et infinie repaît l’âme uniquement de joie, il est pur de toute tristesse; c’est cela qu’il faut ardemment désirer et rechercher de toutes ses forces74.
73 « Souvent présenté comme un philosophe de la joie, Spinoza devrait plus justement être défini comme un philosophe de l’amour. Tout l’Éthique, en effet, tend à conduire l’homme vers la béatitude ou liberté qui consiste, d’après le scolie de la proposition XXVI de la partie V, « dans un amour constant et éternel en vers la Nature, autrement dit dans l’amour de la Nature pour les hommes », Chantal Jaquet, « L’apparition de l’amour de soi dans l’Éthique », in Les expressions de la puissance d’agir chez Spinoza, op. Cit., p. 259.
74 Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, op. cit., p. 69.
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Un philosophe de l’amour Spinoza est un philosophe de l’amour car toute l’Éthique aboutit à un amour constant & éternel envers la Nature. L’amour passionnel
• a pour objets des choses PÉRISSABLES • & conduit au flottement de l’esprit.
Donc, il est nécessaire que l’amour se porte
• sur une chose IMPÉRISSABLE, • c’est-à-dire sur une chose ÉTERNELLE & INFINIE.
Cette chose
• impérissable, • éternelle • & infinie
est l’amour intellectuel de la Nature.
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Cet amour pour une chose éternelle trouve son accomplissement dans l’amour intellectuel de la Nature qui procède du second, mais surtout du troisième genre de connaissance, c’est-à-dire de la connaissance intuitive des choses singulières ou pour reprendre ce qu’écrit Spinoza dans le Traité de la réforme de l’entendement de « la connaissance de l’union qu’a l’esprit avec la nature tout entière75 ». Autrement dit, ce que suggère l’expression même d’amour intellectuel de la Nature, c’est que la connaissance intuitive ne peut se manifester que sous la forme d’une joie ayant pour cause la compréhension par l’intellect de la véritable nature de la Nature.
75 Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, op. cit., p. 71.
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Il appartient au 3e genre de connaissance (voir mon autre essai, Typologie des trois genres de connaissance), qui tient
• de la connaissance intuitive des choses singulières • & de la connaissance de l’union qu’a l’esprit avec la nature tout entière.
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Cette expression peut sembler étrange à qui n’a pas compris le lien qui unit les idées et les affects et qui a spontanément tendance à opposer la vie intellectuelle et la vie affective. En revanche, qui a compris que les passions étaient la manifestation des idées inadéquates et les actions véritables celle des idées adéquates ne peut être troublé par une telle expression. En effet, si l’on se réfère à la définition de l’amour en tant que joie accompagnée de l’idée de sa cause, il s’ensuit nécessairement que la connaissance de la Nature en tant qu’elle constitue le plus haut degré de perfection de l’esprit est également accompagnée de joie. Aussi, comme la cause de cette joie se trouve en l’idée de la Nature que je perçois de manière adéquate par l’intellect, je ressens pour la Nature un amour intellectuel. Si la joie est l’affect par lequel se manifeste une augmentation de puissance, plus je connais la Nature plus la puissance de mon esprit augmente et plus je ressens de la joie. Comme cette joie vient de ma connaissance de la Nature, elle ne peut être qu’amour dans la mesure où elle [est] un affect corrélé à la perception de la Nature selon le troisième genre de connaissance.
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Les idées adéquates
donnent naissance à des actions de l’esprit, tandis que les idées inadéquates donnent naissance aux passions dont Spinoza s’emploie à établir une liste dans l’appendice de la 3e partie. Ce sont donc ces idées adéquates dont il s’agit d’observer le déploiement en soi.
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Cet amour n’est donc en rien paradoxal et tout amour actif est dans une certaine mesure amour intellectuel dans la mesure où il procède de l’idée adéquate de la chose aimée qui est toujours une manière d’être singulière de la Nature. En effet, comme le précise la proposition XXIV d’Éthique V: Plus nous comprenons les choses singulières, plus nous connaissons la Nature76.
Par conséquent cette connaissance des choses singulière entraîne nécessairement l’amour envers la Nature. Reste à savoir si la Nature [elle]-même peut être affecté[e] d’un tel amour envers ceux qui sont affectés de joie par la présence en eux de son idée. Apparemment, il serait vain de vouloir être aimé par la Nature de la même manière que nous pouvons l’aimer. Ce serait même méconnaître sa véritable nature que d’espérer une telle conséquence de l’amour que l’on ressent envers lui: Qui aime la Nature ne peut faire effort pour que la Nature l’aime en retour77.
76 Spinoza, Éthique V, proposition XXIV, op. cit., p. 517.
77 Spinoza, Éthique V, proposition XIX, op. cit., p. 509.
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Joie
Une forme de JOIE qui nait & s’installe a pour cause la compréhension par l’intellect de la véritable nature de la Nature.
Ou bien, autrement dit:
C’est parce que l’intellect comprend de manière intuitive la véritable nature de la Nature qu’une forme de joie pérenne s’installe à cœur d’humain.
Une fois admise la différence entre les deux types d’amour (amour passionnel & amour intellectuel de la Nature),
la définition de l’amour en tant que joie accompagnée de l’idée de sa cause devient plausible. Il s’ensuit que la connaissance de la Nature, qui constitue selon Spinoza le plus haut degré de perfection de l’esprit, est également accompagnée de joie.
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Demander que la Nature nous aime serait croire que la Nature peut ressentir des affects comparables aux affects humains et faire preuve d’un anthropomorphisme qui est remis en question tout au long de l’Éthique. D’autant que penser que la Nature peut ressentir de l’amour reviendrait à penser que la Nature peut être affecté[e] de joie, ce qui reviendrait à penser que la Nature peut se réjouir de voir sa puissance augmenter, alors que, par définition, cela est impossible puisque cette puissance est infinie. En d’autres termes vouloir être aimé par la Nature d’un amour comparable à celui que nous pouvons ressentir à son égard reviendrait à vouloir que la Nature ne soit pas la Nature.
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Un cercle vertueux
S’entame dès lors d’un cercle vertueux:
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plus je connais la Nature de façon intuitive,
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plus ma puissance d’agir augmente
-
& plus ma joie s’installe de façon pérenne au cœur de soi,
car la joie est l’affect « responsable » d’une augmentation de ma puissance d’agir,
je deviens dès lors davantage
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Néanmoins, les choses semblent être plus compliquées qu’il n’y paraît dans la mesure où Spinoza affirme ensuite, quelques propositions plus loin: la Nature s’aime [elle]-même d’un amour intellectuel infini78.
Ce qui sous-entend que la Nature est cause pour [elle]-même d’une joie infinie qui ne serait pas le sentiment d’une augmentation de puissance, mais plutôt la jouissance pleine et entière de son infinie puissance.
Mais, son amour peut également prendre une autre forme: L’amour intellectuel de l’esprit envers la Nature est l’amour même de la Nature, dont la Nature s’aime [elle]-même, non en tant qu’[elle] est infini[e], mais en tant qu’[elle] peut s’expliquer par l’essence de l’esprit humain, considéré sous une espèce d’éternité, c’est-à-dire, l’amour intellectuel de l’esprit envers la Nature est une partie de l’amour infini dont la Nature s’aime [elle]-même79.
78 Spinoza, Éthique V, proposition XXXV, op. cit., p. 529.
79 Spinoza, Éthique V, proposition XXXVI, op. cit., p. 529.
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Y-a-t-il réciprocité ?
La Nature peut-elle aimer celles & ceux, humains, animaux et végétaux, qui sont affectées de joie par la présence en eux de son IDÉE ?
Apparemment, la réponse est NON. (Éth. V, prop. 19)
Nul anthropomorphisme donc, en ce qui concerne les humains.
POURTANT,
la Nature se définit par sa plénitude infinie. Elle jouit de façon pleine & entière de son infinie puissance (d’agir).
L’amour intellectuel de l’esprit (humain) envers la Nature est une partie de l’amour infini dont la Nature s’aime elle-même.
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En conséquence, comme l’énonce le corollaire de cette proposition: De là suit que la Nature, en tant qu’[elle] s’aime [elle]-même, aime les hommes, et, par conséquent, que l’amour de la Nature pour les hommes, et l’amour intellectuel de l’esprit envers la Nature, est une seule et même chose80.
80 Spinoza, Éthique V, corollaire de la proposition XXXVI, op.
cit., p. 529.
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Identité
Il y a PAR CONSÉQUENT une identité entre
Ces deux formes d’amour sont identiques.
Donc, oui il y a réciprocité.
La Nature aime le vivant à travers, entre autres, l’amour intellectuel que les humains ressentent pour elle.
Cet amour intellectuel de la Nature présuppose que les humains soient parvenus intuitivement à la connaissance de sa véritable nature.
Il y aurait lieu d’approfondir du côté
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La difficulté est donc ici de comprendre comment une Nature qui apparaît comme initialement indifférent[e] aux hommes peut ensuite être caractérisé[e] comme susceptible de ressentir de l’amour envers eux. Si l’on se réfère à ce qui est écrit dans ce corollaire, la Nature s’aime donc [elle]-même au travers de l’amour dont peut être affectée pour [elle] une de ses manières d’être qui est l’homme. En conséquence, la Nature aime les hommes qui, en tant que manières d’être, expriment toute sa puissance. Autrement dit, la Nature aime les hommes à travers l’amour intellectuel qu’ils ressentent pour [elle], car l’amour de la Nature pour [elle]-même implique l’amour que les hommes, qui sont parvenus à la connaissance de sa véritable nature, ressentent envers [elle].
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Conclusion
Cet amour intellectuel présuppose que les humains soient parvenus à la connaissance de sa véritable nature (3e genre de connaissance), ce à quoi j’ai l’intuition de parvenir de proche en proche en observant avec une régularité, une constance bien ancrée qui me fait aimer/admirer/m’émerveiller sur/
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le moindre champignon qui resplendit sur ce lopin & dont j’observe l’apparition, l’épanouissement puis le déclin,
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la moindre pomme qui s’épanouit sur son arbre avant d’être cueillie & de m’alimenter.
D’où le minimalisme adéquat de mon interventionnisme diffus dans ce jardin paresseux. L’amour intellectuel de la Nature définit assez bien la relation que je développe avec elle; cette relation tient
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de l’observation attentive, vigilante presque, des effets – parfois sur plusieurs années – que mes interventions ont sur l’environ de soi au jardin
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& d’un interventionnisme minimaliste qui s’efforce de contribuer & de ne pas détruire pour détruire.
C’est à force d’observer l’effet de ses interventions minimalistes dans la nature qui l’entoure que l’esprit acquiert de mieux en mieux l’intuition qu’il est uni à la nature tout entière.
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