J'avais déjà eu l'occasion d'apprécier la plume de Jacques Tassin dans sa réflexion précédente: Penser comme un arbre. Ce nouvel ouvrage précise son propos, le prolonge et l'amplifie.


Le sensible défini 30-33

Jacques Tassin a choisi de substantiver l'adjectif dans cet ouvrage.

Le TLFi note ceci: « Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui peut être perçu par les sens. Il n'y aurait pas le présent, c'est-à-dire le sensible avec son épaisseur et sa richesse inépuisable, si la perception, pour parler comme Hegel, ne gardait un passé dans sa profondeur présente et ne le contractait en elle (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 277). »

Le sensible a pour fonction « d'indiquer au vivant, par l'expérience perceptuelle, le sens à suivre pour dérouler sa vie plus avant. »32

« Le sensible est la qualité de ce qui peut être perçu par les sens. » Il constitue le versant qualitatif de la part du réel qui peut être perçu par les sens.

« Est sensoriel ce qui relève des organes permettant la mise en oeuvre des sens. »

« La sensibilité

  • vient en aval du processus de perception du sensible;
  • est une faculté psychologique
    • de captation,
    • d'interprétation des émanations sensibles drainées par les sens.»

« La sensation est un état [du corps à la fois] physiologique & psychologique induit par la sensibilité. » La sensibilité induit la sensation. « Le sensible tient du mouvement qui est toujours

  • un rapprochement,
  • l'expression d'une révélation,
  • n'est jamais une distanciation.» 32

Le sensible engage une succession d'états intérieurs dans notre corps. C'est par la distance par rapport à l'objet que le sensible se différencie de la raison. Le sensible se rapproche, raccourcit la distance qui le sépare de l'objet tandis que la raison s'éloigne de l'objet.

« Dans la succession des états intérieurs que [le sensible] engage dans notre corps,

  • il ne possède rien,
  • il ne dirige rien,
  • il n'anéantit rien.

Le sensible ne fait que produire de la présence. [Le sensible projette] au-delà de soi par le merveilleux truchement de notre corps.» 33

Le sensible est tout entier engagé à produire de la présence.

Cet ouvrage est un grand livre plaidant en faveur du qualitatif en sciences, au détriment du quantitatif. Il rompt les amarres en quelque sorte avec des excès, encouragé en cela par une palette d'auteurs de de nombreux font partie de la Léonardienne. C'est à baliser continuûment ces sillons frais que s'entretient aussi le fastueux d'un corps.


La médiation du sensible

Le propos de l'auteur s'en trouve de la sorte clarifié: le sensible y est sous sa plume

  • défini (ch. 1 Le Malentendu),
  • mis en avant (ch. 2 Le Primat),
  • sens entrelacés (ch. 3 Entrelacs).

Il entreprend dès lors de nous aider à démêler « cet enchevêtrement de liens sensibles ».

Dès la page 18, Jacques Tassin prend le temps de cette mise au point: « ce livre n'est

  • ni une apologie du sensible,
  • ni un pamphlet contre la raison. »

L'ouvrage propose de désocculter « les racines organiques & sensibles

  • de la pensée,
  • du langage,
  • & même de l'écriture.» (ch. 4 Humanité)

Le chapitre suivant, intitulé Bien-être, s'emploie à tracer les contours d'un possible bien-être, en tout d'un mieux-être possible.

Le livre se clôt (ch. 6 Retrouvailles) sur un chapitre au message clair: nous avons besoin

d'une manière d'habiter la Terre

  • qui nous ramène à notre propre chair,
  • qui assure nos retrouvailles avec l'ensemble du vivant,

d'une écologie qui replace « le sensible à sa juste place ». 20


C'est aubaine qu'un scientifique s'attache à définir ce qui fait le vivant sensible, et donc aussi - mais pas que ! - l'humain, après avoir lu un grand nombre d'essayistes (dont certain·e·s font partie de celles & ceux qui se lisent ici aussi) à côté d'articles de recherche dans les domaines qu'il maitrise. Sa plume synthétique contribue à éclairer les facettes de notre plus juste place sur Terre, moins orgueilleuse.

Spinoza définit ainsi l'orgueil: « L'orgueil consiste à avoir de soi-même, par amour, une meilleure opinion qu'il n'est juste. » (Éth. III, app.)

 


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