Une lettre inédite d’André Breton…  enfin inédite, non, plus  maintenant: elle vient d'être publiée dans The London Review of Books (Vol. 33 No. 17 · 8 September 2011) par  Mary-Ann Caws. Elle l'a elle-même reçue de Jacqueline Lamba, épouse d'André Breton (mariage le 14.08.34; il tiendra jusqu'en 1942).
Comme je ne suppose pas que LRB fasse partie de vos lectures quotidiennes, permettez-moi de vous en faire profiter.


Ondine et Paradis! Je n’étais pas du tout prêt à me lever lorsqu’on est venu m’apporter la lettre la plus belle de toutes, il fallait absolument que ce fût ainsi. Il faisait encore très sombre, on devinait un de ces ciels blafards qui nous sont donnés depuis que tu es partie, celui d’aujourd’hui bat du reste tous les records et je t’ai vue longuement sans rien voir. Tu étais là te faisant attendre et j’imaginais mille choses plus horribles les unes que les autres; je relisais bien au delà de les savoir par cœur certaines phrases répondant tellement aux désirs que je t’exprimais hier et je me fascinais devant tels mots d’un tissu violet si lâche … Je t’AIME tant ainsi, je sais si peu que nous sommes encore sur la terre. Je voudrais me disperser pour toi dans l’eau, dans le soleil et dans le vent. N’oublie pas que je t’attends ce soir encore, songe demain qu’à onze heures, je me serai mis pour toi à genoux, j’adore cette prière.
… J’ai fait brusquement la rencontre d’un personnage extrêmement particulier. Il s’agit d’un médecin ami de consuls, avec qui j’ai passé dans une assez grande agitation la fin de la soirée d’avant-hier où j’avais dîné chez René Char et toute la soirée d’hier. En un clin d’oeil nous avons eu, lui et moi, l’impression de nous trouver sur des points très spéciaux des affinités extraordinaires, comment dire, de posséder des lueurs complémentaires sur certaines choses très difficiles. C’est un ancien chef de clinique de la faculté de Paris, c’est-à-dire professionnellement quelqu’un de tout premier ordre et, de plus, il est extrêmement versé en occultisme. Comme j’avais été tenté de lui parler presque tout de suite de ce qui m’émeut tant dans le passage du fictif au réel marqué par l’accomplissement de ‘Tournesol’, il a réussi à me dire d’emblée sur ce sujet des choses étonnamment impressionnantes (découvrant par exemple que j’avais certainement ‘Jupiter en 9e maison’). Il s’est d’ailleurs passionné littéralement pour cette histoire qu’il m’a supplié de la laisser approfondir avec moi. Je suis tout à fait sûr que la rencontre que cet homme et moi avons fait l’un de l’autre est des plus magnétiques, et il en a manifestement la même conscience que moi. Hier soir il n’avait pas plus tôt promené un regard circulaire sur l’atelier et prononcé quelques mots sur le caractère magique et ‘noir’ de l’assemblage des objets que les lampes se sont éteintes, ce qui s’est plusieurs fois produit dans des circonstances analogues, dont Eluard par exemple peut témoigner, comme Giacometti peut témoigner de notre trouble à tous pendant cette très courte éclipse d’hier.
Mon beau Démon … ceci pour te montrer que je suis toujours dans les bonnes grâces du démon. Mon bel Élément liquide, je m’inonde de toi. Y aura-t-il des landes assez grises, des rochers assez tourmentés, assez brisants, des bois assez creux pour notre vol associé de ce soir? Un seul mot encore, mais qu’il soit du moins porté par ma voix: Je t’aime.
André

Sur la tombe, à Saché (Indre-et-Loire), de Madame Lamba est gravé:

Jacqueline Lamba 1910-1993 La nuit du Tournesol.

Un poème de Breton à nouveau, lui est dédié:

Tournesol (1923)
La voyageuse qui traverse Les Halles à la tombée de l’été
Marchait sur la pointe des pieds …
Au Chien qui fume
Où venaient d’entrer le pour et le contre
La jeune femme ne pouvait être vue d’eux que mal et de biais
Avais-je affaire à l’ambassadrice du salpêtre
Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée

La dame sans ombre s’agenouilla sur le Pont-au-Change
Rue Gît-le-Coeur les timbres n’étaient plus les mêmes
Les promesses de nuits étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs les baisers de secours
Se joignaient aux seins de la belle inconnue
Dardés sous le crêpe des significations parfaites
Une ferme prospérait en plein Paris
Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne l’habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu’on sait plus dévoués que les revenants
Les uns comme cette femme ont l’air de nager
Et dans l’amour il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise …

Madame Caws le cite dans son article.

C'était ma petite contribution du jour à l'histoire littéraire du dadaïsme.

Mes sources : http://www.lrb.co.uk/v33/n17/mary-ann-caws/ondine-et-paradis

http://www.andrebreton.fr/

http://jacqueline-lamba.com/accueil.php?lg=fr

 


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