France Culture a récemment consacré 3h d'émission sur l'auteur.
Le livre fondateur de la littérature anglaise. Le « stream of consciousness » un siècle et demi avant Proust et Joyce. Vingt-quatre heures, les premières, dans la vie de Tristram. D'un humour décapant. Réputé intraduisible, ce roman a été traduit en français par Guy Jouvet. Il a mis plusieurs années à polir son texte, au plus près de l'original, dans toute sa démesure.
Laurence Sterne était un prêtre anglican de la bonne bourgeoisie. Cela n'empêche ni le vitriol ni l'humour potache.
Ouvrage pataphysique avant l'heure, peut-être. Une galerie de personnages (le père, l'oncle, la mère, lui) aligne le picaresque sur le domestique.
Après Tristram Shandy, tout est une répétition en mode mineur.
Un film a été tiré du roman. Lisez le roman avant... Il est ésotérique sans l'adossemement au texte. Un rebondissement à toutes les pages. Vous en ressortirez étourdi et vous aurez aussi définitivement compris ce qui fait la quintessence de la British Attitude. Du Monty Python au temps du texte-roi!
C'est LE livre anglais que j'emmènerai sur mon île déserte. Je m'octroie aussi du Sternberg (en Pléiade - on peut rêver!-) et la divine comédie de Dante.
Un cadeau récent (28 05 15) d'une amie me met sous les yeux la traduction qui a précédé celle de Guy Jouvet. Elle est de la main de Charles Mauron. Grand nom pourtant.
Lost in some translation
Je vous propose de goûter la différence en commençant évidemment par le texte anglais, puis la traduction (euh...) de C. Mauron suivie par celle de G. Jouvet (ah!)... Y a pas photo, je trouve. Je n'ai pas envie de vous faire un cours de critique de traduction mais vous apprécierez par vous-même. C'est le début du roman.
Voici la traduction de C. Mauron (10e édition 1946) Robert Laffont:
Et enfin celle de G. Jouvet (2004) Éditions Tristram.
Chaque époque traduit selon son état d'esprit. La comparaison qui peut se faire ci-dessus donne l'occasion d'apprécier deux démarches diamétralement opposées. C. Mauron y applique le génie français et fait parfois prendre à la langue des tours éloignés de l'original. G. Jouvet tient au texte original comme à la prunelle de ses yeux. Et cela se sent, non ?
France Culture a récemment (décembre 2017) consacré 3h d'émission sur l'auteur.
Digresser, tout un artVictor Chklovski, dans Sur la théorie de la prose, consacre de longs passages à la digression. Quel meilleur roman prendre en exemple pour illustrer son propos ? Tristram Shandy, évidemment ! Citation (p. 276):
« D'une façon générale les digressions jouent trois rôles.
- Leur premier rôle est de permettre d'introduire dans le roman une matière nouvelle. Ainsi les discours de don Quichotte ont-ils permis à Cervantès d'introduire dans le roman divers éléments critiques, philosophiques & autres.
- Beaucoup plus important est le deuxième rôle des digressions – qui est de ralentir l'action, de la freiner. Procédé dont Sterne a large usé. Chez Sterne le procédé tient essentiellement en un développement d'un thème de la fable, soit par une présentation des personnages, soit par introduction d'un sujet nouveau (ainsi Sterne introduit-il, par exemple dans Tristram Shandy un récit sur la tante du héros & sur son cocher).
« Jouant de l'impatience du lecteur, l'auteur lui rappelle constamment le héros qu'il a abandonné, mais se revenir à lui après la digression, le rappel ne servant lui-même qu'à accroitre son attente. ...
- [Introduire une matière nouvelle]
- [Ralentir l'action]
- Le troisième rôle des digressions tient à ce qu'elles servent à créer un contraste. ... »