Les différentes voix intérieures dont s'habille LA PETITE BONNE bénéficient d'une alternance très réussie entre poème libre & prose habitée. S'étoffe ainsi petit à petit une implacable trame narrative qui s'évase en s'amplifiant. La plume très maitresse d'elle-même de Bérénice Pichot, son autrice, enchante tant par les thématiques abordées que par les glissements subtils qui s'y opèrent. Cela se lit depuis un observatoire dont le point de vue privilégie l'authenticité des sentiments vécus; l'imprégnation profondément ressentie d'une intériorisation finement rendue, tout cela concourt à faire de sa lecture un sillon qui se creuse en soi: il y laissera probablement des traces pérennes.

Face à la grisaille brumâtre
qui envahit le tout
de l'atmosphère matinale ce jeudi-là,

La petite bonne devient soudainement un trop qui tient de l'insupportable face à la cruelle densité dramatique dans laquelle ce livre plonge nos fragilités résiduelles en les affrontant aux séquelles intolérables que toute guerre fait aux corps trop mutilés. S'y perçoit toute la désespérance  qui se dresse au coeur de Monsieur, ce pianiste d'avant l'épreuve. Une pause s'impose. Pas un abandon, une pause. Un ouvrage tel que celui-ci pose en termes concrets la problématique bien prise en charge par l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. Puisque toute guerre est une indignité faite aux humains.

La métaphore havraise déjà présente dans le précédent ouvrage lu, Jour de Ressac, M. de Kérangal, se poursuit ici: l'autrice y exerce la noble profession de professeur des écoles.

La reprise n'en fut que meilleure: le passage où la petite bonne se noie dans la musique, et les voix, les voix du Requiem de Mozart, vibre toujours, brûlant, comme vibre l'air surchauffé d'un désert au loin (200-204). C'est une magicienne que cette langue-là. C'est à sa force dirimante que je dois l'émoi qui tressaille intact à la souple évocation-plénitude que l'écriture porte en soi. Je vous souhaite de laisser roucouler en vous la caresse totale qu'induit cette rareté littéraire.

Blaise, un hors-monde, un peu comme je le suis moi-même, pour de bien différentes raisons - chacun son parcours ! - bénéficie des ressources que cette langue-là déploie; elles semblent pourvues d'une infinie langueur qui ne demande qu'à nous terraser d'admiration incontinente. Soudain tout comment-dire se fait évidence silencieuse. Respect.

L'ADMD n'aura pas été le recours possible; d'où ces poèmes singuliers (alignement justifié à droite) qui parsèment de leur vécu l'ensemble de l'oeuvre. Le dénouement tend le fil du récit.

La jeune fille pensive au feuillage, qui illustre le bandeau de couverture, est d'Aristide Maillol (1861-1944). Il est une accroche personnelle supplémentaire qui trouve à s'épancher dans un recueil poétique sur Nulle Part intitulé Collioureries. L'anse colliourencque si proche de Banuyls. Plus de 30 années de fidélité. Période désormais close.

 

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