Parue en 2021, cette oeuvre érotique a pour auteur Léo Barthe, cet "hyponyme" transparent de Jacques Abeille qui apparait aussi en tant que personnage romanesque dans le Cycle des Contrées. Princesse Johanna est le nom qu'Isa a reçu en étant accueillie chez Madame Vérone.

Commencé par un "dressage" progressif en bonne et due forme, auquel Isa semble avoir consenti par amour pour Philippe, c'est pourtant à la page 111 qu'un tournant a - enfin - lieu, le "dressage"* n'ayant jamais eu l'heur de m'émoustiller...: Philippe quitte Isa pour se marier avec une autre. Isa: « Je n'ai bientôt plus sous les yeux que des taches de cendre. Je suis entrée dans un monde crépusculaire, où je flotte, toute attache dénouée. »

Un tournant humanisant, humaniste même, prend cours quand le vieux peintre, invité par la maîtresse-femme des lieux à en décorer les murs, apprend à connaître Isa, hantant toujours ces lieux, la vie délaissée à la mélancolie. Elle rejoint l'atelier du peintre en devenant son modèle hébergé dans une chambre au coeur de cette vaste demeure-atelier sans qu'ils unissent corps & destins. Libre à vous d'apercevoir sous la livrée du peintre le maître de cérémonie abeillien... J'ai en tout cas aimé la place dans laquelle il trouve à se lover au coeur même de l'intrigue dont il a concocté les moindres recoins.

Cette bifurcation narrative est gérée de main de maître par le romancier puisque « Isa consent à échapper chaque jour davantage à l'emprise de son chagrin » (147) après avoir « cessé d'être fragile et endeuillée » (146) et que l'a quittée « l'air de mélancolie qui jusqu'alors a[vait] voilé ses traits » (145). « Elle n'a rien oublié de son passé, tout au contraire, sa mémoire sortie plus nette des brumes du chagrin la laisse mieux présente. » (145)

La dernière partie du roman offre toute licence à l'ancien prof d'art qui tient la plume d'une main ferme de nous gratifier au passage de précieuses leçons de dessin et de peinture. Ce rebond narratif surprend et enchante tant il était inattendu, inespéré même.

La scène finale est d'une poésie très aboutie, tendue par l'énergie évocatrice qu'elle dégage tant l'écrivain a su capter dans les interstices que laissent les mots évocateurs de la tendresse infiniment respectueuse qui unit Tristan, l'ancien élève du peintre en visite et son Yseut/Isa tout entière au consentement vital qui les unit sur leur chemin commun.

Princesse Johanna a pris sont envol par un "dressage" qui se libère et se complexifie en une plénitude intérieurement aboutissant en 189 pages sur la maturité assumée de deux vies encontrées, sans s'ensombrer dans quelque pusillanimité du réel. Cette épure même est belle même par la conscience vive qui s'assouvit chez le peintre ayant franchi à l'instant même de leur départ « le seuil de la vieillesse » (189); ce sont les derniers mots de la main de l'hyponyme barthien de Jacques Abeille.

Puisse toute lecture, toute lectrice, tout lecteur trouver en cette prose gouleyante sa place propre tant sont appropriées les évocations y assemblées. Cette découverte me comble: l'ouvrage trainait depuis sa parution inlu sur le rayonnage de la Léonardienne où est assemblée l'oeuvre de cette plume majeure de la littérature française contemporaine. L'occasion de la parution prochaine du dernier opus, le premier publié de façon posthume, m'a heureusement conduit à m'y immerger tout entier ! Je l'attends avec ferveur, ce Passé lumineux...


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dresser  Ce qu'en dit le dictionnaire des synonymes en ligne  
Verbe      
    > aplanir: équarrir, dégauchir
> apprivoiser: domestiquer, mater
> disposer: installer, mettre, préparer
> établir: exécuter, calculer, étudier
> exciter: monter, mettre en opposition, braquer
> faire céder: mettre au pli, plier
> familiariser: former
> former: instruire, diriger, façonner, éduquer, styler
> planter: échafauder, édifier, élever, monter, ériger, construire
> redresser: lever
> tendre

 

 

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