La revue Harfang cèle/scelle en son vingt-quatrième numéro (printemps 2004) trois réponses de Jacques Abeille suivies par une nouvelle de six pages intitulée La Chasse perdue.
J'extrais des trois réponses ceci:
- « Mon premier roman, Les Jardins Statuaires, un peu par mégarde de ces préoccupations [ethnologiques avortées] quand j'en traçai les premières pages, je me figurais en toute bonne foi développer une assez brève métaphore du destin de l'oeuvre d'art comme réalité libératrice et tragique. Une dynamique romanesque au fil des pages noircies m'a imposé sa logique singulière & j'ai découvert peu à peu des contrées insoupçonnées. » L'auteur avait soixante-deux ans quand ces lignes sont parues.
- « ... Si j'écris pour quelqu'un, c'est pour l'étrange personnage qu'est un livre en train de se faire. »
La nouvelle déroule sa brève intrigue aux confins des Jardins statuaires. Le n° entier de la revue a pour titre de dossier: Nouvelles des voyageurs. La scène forestière emmène la femme d'un seigneur sous la garde d'un écuyer, Rohen, frère de lait de son époux. L'intrigue les voit se déplacer à cheval et prend un tour davantage chaleureux entre la dame et Rohen à mesure que la chasse se prolonge à la poursuite d'une « bête rare et dangereuse »; elle est organisée par le Prince dont l'époux est un des obligés, un de ses hommes-lige.
L'automne rafraichit la nuit et les corps. La deuxième nuit rapproche le corps féminin du masculin, cherchant à porter leurs chaleurs animales respectives en proximité confortable.
La vesprée de la 3e tend les reins de la dame, esquintés par la journée à cheval, aux mains masseuses de Rohen. À sa demande à elle car...
- « Plus tard, comme ils reposaient l'un contre l'autre, nus sous la même couverture, il poussa un profond soupir. Elle lui posa la main sur la tempe et lui parla doucement: "Je ne voulais pas me laisser accompagner par toi car je savais qu'alors notre voyage serait sans fin. Et j'avais peur de cette joie." »
- « ... la dame et son écuyer ainsi continueront d'aller sur cette terre mystérieuse où veillent des statues que nul n'honore plus. »
Ce genre de (re)trouvaille illumine de l'intérieur un univers onirique personnel à même ce corps qui veille. Chaque immersion dans ces contes et fables, sans moralité pour ces dernières, précise-t-il, emplit et sature l'univers intérieur de ce lecteur-ci d'une immensité roborative au milieu de laquelle le corps conscient du soi flotte au gré de la gravité spécifique que la langue de l'auteur y a mise, à tout le moins dans la portion d'icelles qui nous est accessible à l'instant même du lire.
Cela participe grandement de la recherche d'une reprise périodique de facettes encore infranchies - ou alors dissoutes dans les limbes d'une mémoire absente de ses lectures antérieures - de l'oeuvre romanesque, poétique,érotico-pornographique.
Par quelque bout que vous vous saisissiez de cette oeuvre polymorphe, le contentement en soi est amené à accroitre sa puissance d'agir de façon on ne peut plus opportune.