C'est en 2014, à l'âge de 68 ans - il est né en 1946 -, que Lionel Marek (Jean Pol Sternberg à la ville) publie une biographie très documentée sur son père. Il l'intitule Jacques Sternberg ou l'oeil sauvage. C'est aux éditions L'âge d'homme qu'il a choisi de confier son manuscrit où il est toujours disponible. Le parti pris strictement chronologique constitue une trame vive sur laquelle il lui est loisible de greffer tout ce que l'abondance dont il dispose lui offre de rapprochements et d'éclairages lumineux.

Le sous-titre "ou l'oeil sauvage" trouve son origine dans un long passage cité extrait des Mémoires provisoires, sur lequel je ne suis pas arrivé à mettre la main, donc merci !,: ... « Il gardera jusqu'au bout cet oeil sauvage dont la définition a fourni un des passages les plus forts de tous ses écrits autobiographiques, une véritable profession de foi: ... un oeil qui capte inlassablement la démence ou la bêtise sous-jacente, sans cesse à l'affût, jamais dupe, jamais anesthésié, jamais enfermé derrière des lunettes euphorisantes. Je ne suis pas né avec l'oeil sauvage mais je l'ai depuis bien longtemps. ... Comme ce regard me donne le sens de la dérision et du saugrenu, j'en aurai tiré un certain profit su le plan de la littérature et beaucoup d'inconvénients dans la vie de tous les jours.

Avoir l'oeil sauvage et le garder. Cela demande, non seulement un cartain acide dans le regard, mais une attention, un recul de tous les instants. ... Prendre des raccourcis pour au coeur des choses sans chercher à leur tresser des lauriers, garder sans cesse la distance, l'étonnement, l'effroi, le dégoût et la colère.» Toute la longue citation, elle s'étend sur deux pages – 113 &114–, vaut son pesant d'or. Comme la biographie est toujours disponible, à vous de voir...

 J'avais lu ce beau texte à sa sortie et, dix ans plus tard, dans la grisaille éperdue d'une fin d'automne pensive, je reprends le cheminement. Je redécouvre les fils distendus qui me relient si puissamment à cette prose sternberguienne*, nerveuse et désespérée. Pour l'instant, je ne sais trop que faire de ce pistage de soi sur la piste des autres. D'autres. De quelques autres.


* Dans sa biographie, L. Marek adjective son patronyme majoritairement avec un u, probablement pour conserver la "dureté" du G final. Une seule fois, à la page 146, il l'orthographie "sternbergien", comme


D'autres approches s'opèrent, des co-occurrences s'observent, des détails se (re?)fixent. Bref, tout à la joie du lire, la progression vient de dépasser la borne 101 (année 1953), le texte en déploie 357.

Ma lecture est faite de reprises réflexives; né au milieu des années 50, j'y surfe sur une vague inconsciente de renouveau, comme celle que note le biographe:  Les années 1950 se sont caractérisées par un renouvellement artistique révolutionnaire: d'abord le théâtre de l'Absurde inauguré par Samuel Beckett et Ionesco, puiws, en fin de décennie, les débuts du Nouveu roman ainsi que de la Nouvelle vague du 7e art. » (156) Se renouveler, se réinventer avec constance est une utopie totale. Apprécier l'acquis peut aussi se déployer...

J'y glane de précieux avis, comme par exemple celui de préférer la version publiée par les éditions Néo Oswald en 1981 parce qu'elle a été allégée par l'auteur lui-même. Ma possible relecture sera par en cela bien inspirée.

La description du dessin de Siné figurant en couverture de L'employé (éditions de Minuit) m'a fait regarder de plus près l'exemplaire chiné que recèle la léonardienne. L'achevé d'imprimé date du 6 janvier 1962, trois ans après le tirage original, ce qui permet à l'éditeur d'ajouter une info en 4e de couverture:

« L'employé a obtenu en novembre 1961 Le Grand Prix de l'humour noir Xavier-Forneret. », phrase que je verse au dossier donc ! Je suis extrêmement admiratif du travail de fond auquel Lionel Marek s'est livré au service de l'oeuvre de son père. Ce fort volume constitue un carrefour extrêmement bien élaboré qui livre des flopées d'informations sur les contenus, les adversités, les recensions dans la presse de l'époque, etc. Il précise d'ailleurs ce que j'ai lu en 4e couverture avant de lire la page 181 en apportant des faits supplémentaires: « L'écrivain, le 31 octobre 1961, a de quoi pavoiser. Il a été désigné comme lauréat du Grand Prix de l'humour noir du roman (dit Xavier Forneret) pour L'Employé et pour l'ensemble de son eouvre, avec une mention spéciale pour La Banlieue qui vient de sortir en librairie. Sternberg a obtenu 7 voix sur 12 du jury présidé par André Berry et qui se compose notamment de Raymond Queneau (notons au passage que cet ancien "ennemi juré" du jeune Sternberg ne lui a pas refusé son suffrage), Maurice Siné, Robert Sabatier et Tristan Maya, fondateur du Grand Prix en 1964. » Le paragraphe nous informe également des autres prix remis.

Cette biographie est plus souvent qu'à son tour très bien documentée.

L'apparent chant du cygne en tant qu'écrivain sous le pseudonyme de Lionel Marek que constitue cette filiale biographie mérite une lecture dévouée tant elle recèle de trouvailles inédites sur l'auteur biographé, sur ses oeuvres, sur l'époque aussi. Elle n'est en rien une hagiographie pas plus qu'elle ne constitue un démolissage. Elle consiste bien davantage en un démontage éclairé à diverses sources qui toutes convergent en ces pages. Elle éveille et maintient en moi une admiration respectueuse pour la considérable somme d'efforts qu'elle a exigé du biographe. J'en viendrais presque à la suggérer comme modèle possible pour d'autres biographes proches de la vie qui s'écrivait aux environs familiers du soi, notamment pour la saine distance critique qu'elle maintient avec son sujet et pour le souci constant d'aligner un maximum de faits. Le seul bémol que j'y ai perçu concerne la place qu'a prise Madame Dorothée Blanck (1939-2016) dans la vie de Jacques Sternberg. Il y est fait allusion une seule fois (je retrouverai la page...). Sinon, elle est silencée, même si le prénom Dorothée figure en quatrième position dans le titre d'un roman foisonnant en prénoms féminins ! Une probable marque de déférence par rapport à sa mère, j'imagine.

S'y trouvent rassemblés en une même page maints commentaires du père et du fils sur la production littéraire et essayée de l'aîné. La biographie n'est vraiment pas avare en rapprochements factuels et textuels multiples qui portent en eux leur dot de trouvailles insignes.

L'exemplaire chiné le 31.8.1984 des Chroniques de France-Soir de cet ouvrage publié en 1971 a plusieurs caractéristiques:

  • il comporte deux fois les pages 257 à 271;
  • il omet les pages 272 à 288,
  • il ne mentionne pas la date de première publication dans le quotidien,
  • il recèle les fascinants dessins de Jean Gourmelin; chacun, une perle en soi,
  • il livre des tas d'informations sur l'auteur lui-même...
  • il détourne des tas de titres de magazines, tel Vain Temps (revue de philosophie)...
 

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