Tu parles doucement, à voix si basse, comme pour t’excuser d’être là, de prendre un peu de place. De troubler le silence.
Tu es toujours en mouvement par contre, malgré le dos cassé, les jambes gonflées, les interminables hivers. Tu prépares le repas du soir, tu astiques le buffet de chêne, tu tricotes un pull pour la gamine d’en face. Toujours affairée.
Te reposer ? Jamais. Le travail, tu ne connais que ça. À dix ans déjà, il t’a fallu laisser la craie et l’ardoise, le pupitre de bois verni et la place au chaud près du grand poêle.
Toute une vie à trimer. Tu étais bien dure à la tâche. Toute une vie à servir les autres, à satisfaire toutes les envies, tous les désirs. Absolument tous.
Et tu baissais les yeux, tu écartais les cuisses, tu serrais les poings. Ta mâchoire se crispait, broyant ta détresse.
Et seuls s’échappaient de ta bouche les dociles : « Oui, Mademoiselle », « Bien Monsieur », « Madame est servie ».
Jour après jour, d’une offense à l’autre, tu as bu ta honte. Noyé ton chagrin. Ravalé ta colère.
Tu les as piétinés, étouffés, étranglés. Tu les as ensevelis au profond de ta gorge – tellement qu’à la fin tu crois les avoir oubliés.
Et que tu parles doucement, à voix si basse, comme pour t’excuser d’être là.