Le chant s’est tu et tu as refermé derrière toi la serrure
silencieuse de la forêt, l’immense fermeture éclair de
son tablier de verdure, et le bruissement épais de tes
souvenirs. Tu t’es agenouillé, maculant tes jambes de
boue. Tu as ramassé une feuille de Tulipier de Virginie,
entre pudibonderie vorace et provocation naïve. Tu as
ouvert ses nervures écartelées, la feuille craquelait,
encore écrasée par un pas isocèle qui avait précédé le
tien. Tu as enfoui dans ses nervures les chemins de tes
veines. Tu lui as confié ton secret, pourquoi tu suivais
les chemins rugueux et déserts de la forêt. Tu t’es
attardé sur ses échancrures, sur la qualité lisse de son
limbe, sur la couleur, sur la corolle de son pétiole, ta
feuille jouait au pétale, elle était ton idole, se mouvait
comme un crotale, se moquait du protocole. Tu collais
ton oreille à ses ostioles, tu écoutais le corps de ses
stomates, la feuille te parlait d’eau et d’aurore, la feuille
dans ta main devenait une femme, l’ovale de ses seins
devenait un automne, le lit de son bassin s’enlisait dans
ta paume, ses arômes te poussaient sous le charme des
ormes, et les grimoires de la forêt se refermaient sur ta
sève, enserraient les lacets des chemins autour de ton
corps, autour du sien, et tu étais nu dans la feuille, et
tu étais nu comme un ver, et tu étais nu dans la feuille,
et bientôt tu étais mort.
Quand tu es mort la forêt a repris son souffle, elle a dit
qui tu étais.


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