Essai argumenté de poétique définitoire
Sources: Les échos du logement, 124, pp.4-9 Auteur: Pierre Lacroix, Architecte paysagiste « RÉSUMÉ », extrait du mémoire de maitrise de son auteur: |
Les classes dites moyennes (vivant majoritairement dans ces périphéries des villes illustrées ci-dessus) sont pour une large part une énigme pour elles-mêmes, sans outils pour se résoudre; elles s'y dissolvent au fond de leurs ornières. Derrière leurs oeillères. Elles ne peuvent rien pour elles-mêmes, car elles vont, telle une errance sans fin, vides de tout chemin, au pas de zombies sans consigne, en désordre, conscience absentée; nue raison de vivre, innocente de leurs certitudes acquises aux pires sources de leurs émotions primales de conservation de leur espèce. La force de leurs inerties cumulées nous égare, sournoise et rebelle, revêche à tout. Toujours et Jamais sont les deux seuls adverbes de fréquence qu'elles connaissent: ils sont symptomatiques de leurs impuissances à absoudre la matière même du vide abyssal qu'elles hébergent en elles sans Jamais y avoir consenti, bien sûr, puisqu'elles ne le nomment pas, ce vide. Elles sont une hargne inextinguible à tout ce qui n'est pas elles: ça en fait du monde ! Elles sont les indénombrables, foules aux mains des puissants. Elles font assauts d'indigence, question de réfléchir plus loin que le bout de leur nez. Que la planète frissonne sous son écharpe grise, peu leur chaut. Ni chaud ni froid, d'ailleurs. Elles s'essoufflent avant même d'esquisser le moindre effort. Tout impuissantes qu'elles sont à faire disparaitre les spirales de vide que leur renvoient les miroirs. Elles vont en quelque sorte inopportunes à elles-mêmes.
Un article d'Éric Charmes sur La vie des idées (direction Pierre Rosanvallon; un des deux éditeurs est Ariel Suhamy, spécialiste de Spinoza) s'intéresse à La revanche des villages. Il y note également la présence massive des classes moyennes dans les zones périurbaines.
(Mise à jour 1 2 19) La moindre couche neigeuse les révèle telles qu'en elles-mêmes, ces classes moyennes, figées en statues de sel, plus encore incapables que de coutume d’empathie pour autrui, incapables de se plier à quelque règle de vivre ensemble, comme celle de dégager leur pavée pour y faciliter la progression d’autrui…
Tout entières paralysées par leur peur abyssale de la perte de contrôle, dans leur monde absenté, de leurs corps individués qui leur est devenu étranger autant qu’étrange, sans ressources autres que médicalisées, sans ressort face au simple réel blanc, si accueillant pour leur pelle à neige !
Dans le profond sillon tracé par leurs ornières, le sang des sacrifices. À ne jamais chevaucher un cheval d'arçon, ils en sont devenus indésarçonnables dans leurs certitudes. À ne jamais desserrer aucun boulon, ils en sont devenus indéboulonnables. Leurs convictions insuffisamment fondées sont indéfendables. Ce sont des déracinés de la Terre, autant de matières mortes enfermées dans le vivant: ce sont des indéracinables, des indélogeables. Qu'ils croient ! Le monde se (re)fera sans eux. Ils sont devenus indéchiffrables pour eux-mêmes, retranchés qu'ils sont derrière leurs grillages aux portails automatiques: ils s'y croient protégés. Leurs alarmes sonnent à mesure qu'ils en oublient eux-mêmes l'existence, piètres vigiles de leur propre corps. Ils s'y sont piégés eux-mêmes, en bons domestiques d'un mécanisme qui les dépasse mis en place par les puissants, incapables d'en déceler les rouages, d'y faire face. Ils sont devenus indécelables, d'abord à eux-mêmes. Leurs chemins étriqués au fond de leurs ornières sont inbifurcables*. Ils ne comprennent plus leurs enfants s'ils les voient encore et vont incompris de leur progéniture; les ressources de l'empathie envers leurs plus proches leur sont pour une grande part inaccessibles. Ce sont des individus profondément divisés en leur sein, rompus, comme on dit que le pain l'est, émiettés.
* La notion de bifurcation est centrale à l'oeuvre de J.-C. Martin dont je découvre, ravi, les Multiplicités en parallèle à son volume plus ancien sur Borges. Et puis ceci, car ce texte s'écrivait en parallèle avec la lecture de ces deux ouvrages:
À l'exception des trois "Il faut", qui ne me sont presque jamais sympathiques, ce texte a du coffre ! |
Les gilets jaunes ne sont pas issus de leurs rangs. Ils ont mieux à faire. Ils sont la puissance d'agir de demain s'ils se montrent les plus soucieux d'augmenter leur dignité sans entamer encore plus les moyens déjà très largement amoindris de l'État social, de l'état de droit, du droit à un environnement plus sain aussi; ce sont eux qu'il convient de soutenir, de loin déjà, sans les dénigrer car leur combat est juste et leur attitude digne (je ne parle évidemment pas des "casseurs" dont les médias complices tartinent leurs écrans); ni les mépriser, comme tant d'intellos médiatiques s'y emploient à longueur de temps d'antenne qu'ils occupent au nom de leurs maîtres. Le monde neuf se construira sans ces effarouchés au fond de leurs ornières, aux oeillères refermées sur leur regard absent. Il sera opportun de le construire sans eux, car ils sont un frein; à eux le monde inhabitable que les puissants salopent à leur seul usage.
Écouter la chronique d'A. Touraine sur France Culture.
Nous devons les empêcher de nous nuire, ces puissants; ils sont accrochés à leurs privilèges. Ils les croyaient sans fin: de toutes parts, ils commencent à être assiégés par la conscience que nous avons de plus en plus aiguë qu'ils nous sont nuisibles. Les puissants ont une autre définition de la survie que les indénombrables; ces derniers sont plus attachés à l'argent dont ils craignent le défaut, pourtant assis qu'ils sont sur leurs cassettes d'or... Les gilets jaunes eux en ont si peu, de flouze, il leur fait si cruellement défaut pour vivre décemment, selon leurs propres critères fort honorables, privés qu'ils sont, par les puissants et les les indénombrables, de moyens pour survivre.
La convergence des prises de conscience est encore disparate, entre gilets jaunes, défenseurs du climat, les Compagnons de la Terre, nos ceintures alimenterres citadines, les Syriza grecs, des Podemos espagnols, des Insoumis français... En noem maar op... Pourtant, l'éveil de ces combats encore trop locaux est précieux.
À quand davantage d'Intellos Médiatiques pour insister sur cette nécessaire convergence des consciences, plutôt que de rire sous cape à la conceptuelle absente de propos tenus au micro à la solde des puissants par des gilets jaunes isolés, sans porteurs de parole structurée, tout englués qu'ils sont par leurs factures impayées qui les obnubilent tant ?
Félicitations à l'hebdo de la RTBf 7 à la Une et son journaliste V. Boigelot pour les entretiens fort prenants qu'il a réalisés auprès de trois personnes solidaires des gilets jaunes. Diffusion ce 1 12 18. Y fut posément étalée cette pauvreté après une vie de labeur; y fut simplement expliqué quand cela est devenu "intenable" et pourquoi.
La TVA est la plus inique des taxes puisqu'elles touche tout le monde; pour les revenus moyens et hauts, elle est indolore. Pas pour les autres. C'est elle qu'il doit être abaissée pour tous les produits de base, dont la liste doit s'élargir et se réorganiser (Fauchon n'est peut-être pas un « produit de base » - épicerie fine, TVA à 6%: les riches savent se servir !). Et un État social renforcé par nos votes citoyens réfléchis compensera l'effet de cette baisse par une taxation liée aux revenus & à la fortune des personnes, des familles.
Voir aussi l'opinion de Christine Mahy (rwlp) du 2 12 18. Ce réseau mène un combat sans faille pour porter le message puissant de ces assemblées encore trop disparates.
Les puissants ne les comprennent pas, ces survies-là: ils claquent 10.000€ comme rien dans leurs soirées bling-bling. Ils les méprisent, envoient chiens, autopompes, matraques contre eux. Cela n'aura qu'un temps: déjà ces policiers solidaires avec les gilets jaunes et ces thermos et sandwiches apportés aux piquets. Mais eux aussi tirent le diable par la queue, que les puissants ne s'y trompent pas. Ils se reconnaissent dans ce combat-là.
En février 2019 est paru chez Flammarion un nouvel ouvrage de la plume de Maxime Rovere intitulé Que faire des cons ? pour ne pas en rester un soi-même. Je me demande si cet essai-ci ↑ & ce livre-là ← traite des mêmes personnes... Se poser la question n'est pas y répondre nécessairement de façon positive.
La question n'est pas tranchée tant le propos est dilué. Davantage aigu à cerner les impasses qu'à dégager les solutions. En tout cas suffisamment tôt pour inviter à poursuivre une lecture...
Cela manque de balises textuelles au service d'une lecture davantage experte, chère au linguiste pragmatique François Richaudeau. M. Rovere avait propulsé d'autres maitrises, nettement plus convaincantes. S'adressant à nous qui pâtissons des cons, il nous dilue dans des suites raisonnées trop longues pour être bien efficaces. Il semble tourner autour du pot à merdre; l'oeil s'éloigne de cette toxicité. Un piège éditorial & mercatique dans lequel je n'aurais pas dû tomber ? Un aliment de plume ? Une énervation adossée ? Je m'acharnerai. À l'occasion.
Je ne suis pas certain que l'extrême dilution d'un propos qui s'avère juste si la lecture s'acharne à couper court dans ces broussailles envahissant son cheminement. La colère a-t-elle fait prendre la plume à l'auteur ? Par moments, elle ne semble pas encore d'être éteinte.
Par comparaison, un récent essai de Jean François Billeter intitulé Demain l'Europe plaide pointu en 40 pages au profit de l'intégration de la construction européenne actuelle dans une république européenne que l'auteur appelle de ses vœux. La concision semble y être davantage porteuse que la dilution.