L'approche de philosophes sur Nulle Part se fait souvent en surfant sur des convergences, de manière légère et pourtant de plus en plus assurée, en les concernant. Il s'agit souvent de laisser ces convergences résonner en soi (E. Kohn, 209) et d'habiter ensuite ces résonances, ces ondes sur lesquelles le soi surfe en légèreté. Comme si ces ripples étaient des vagues sur lesquelles poser une planche de surf philosophique. Dans l'univers nullepartien, cette planche de surf prend souvent la forme d'arborescences de mots-clés entrelacés de noms propres. Le tissu philosophique paraît alors résulter en une série de liens (de fils) constituant une trame légère et investie. 

Les résonances perçues convergent alors dans une forêt de lianes dont les points d'attache sont propres à l'univers qui s'y construit.

Les philosophes qui convergent sur Nulle Part ont réussi à se libérer des contraintes cartésiennes en introduisant des catégories neuves qui ont pour effets d'éclater la rigueur rugueuse et déiste d'un Descartes. Il a été précieux en son siècle. Mais la flèche du temps a continué sa route depuis lors et ces successeurs ont à construire d'autres visions pour le monde qui prend formes sous nos pieds...

Spinoza, en très fin connaisseur de son contemporain, est un premier qui nous offre de le dépasser par sa désormais célèbre formule Deus Sive Natura, Dieu c'est-à-dire la Nature. N'étant nulle part concerné par un construct de sujétion (dieu), c'est tout naturellement (même pas fait exprès !) que c'est l'autre plateau de l'équivalence qui concerne l'homme: la nature.

R. Misrahi, exégète très informé de l'Éthique spinozienne, balise fermement la voie au post-spinozisme en instituant la joie comme principe moteur de la vie, totalement libérée de croyances surannées en un dieu tout puissant, si je résume outrageusement fort.

La nature concerne E. Kohn (Comment pensent les forêts) au premier chef, lui qui s'est immiscé dans la forêt amazonienne pendant plusieurs années (Équateur). À la suite de Peirce, il convoque un concept que je connaissais pas, celui d'abduction à côté de la déduction (Descartes) et de l'induction (Locke). Peirce est apparenté au pragmatisme de W. James qui a servi de socle à Whitehead, dont I. Stengers est une spécialiste reconnue au sein du GECo - groupe d'études constructivistes qui niche à l'ULB.

Il existe un autre pont entre E. Kohn et I. Stengers: il a pour nom D. Harraway, amplement citées par les deux. Chacun approfondit sa spécificité évidemment: convergence n'est pas identité. Là où I. Stengers s'interroge sur les moyens de civiliser la modernité, pour conclure sur un « Vivre dans les ruines », E. Kohn s'attache à nous faire profiter des savoirs qu'il a accumulés auprès des Runa équatoriens et attirer le regard sur les pensées de la forêt.

I. Stengers et A. Berque ont en commun von Uexküll que la première cite en passant tandis que le second fonde son système logique, la mésologie, sur les recherches uexkülliennes. L'apport principal d'A. Berque à l'univers nullepartien pourrait bien être le tétralemme, et plus accessoirement la contigence, comme un ailleurs situé entre le hasard et le destin; ce que E. Kohn nomme par ailleurs contrainte. Les deux termes semblent vibrer d'une période voisine. (Voir la terminologie ainsi que le glossaire très récent qu'A. Berque a lui-même réalisé). E. Kohn constate que les habitudes, les régularités et les phénomènes émergents sont le produit de contraintes sur le possible. 213

De recoupements en liens forts et/ou ténus, un univers philosophique se construit à l'abri des regards, sans prétendre y contribuer le moins du monde.

La philosophie orientale est aussi partie prenante: la joie si bien nommée par Spinoza et précisée par R. Misrahi est au coeur du shivaïsme tantrique non dualiste du Cachemire dont l'Indianiste renommée, L. Silburn, a établi fermement la traduction qui nous en offre l'accès. Un autre orientaliste, A. Berque, par ailleurs géographe, donne vie au tétralemme tel que le bouddhisme de Nagarjuna l'avait établi en l'améliorant à la suite d'un philosophe japonais (Yamauchi). C'est une bonne façon de sortir de la logique binaire si réductrice.


Et de tous temps rester attentif à la mécanique subtile des chakras (roues), attentionné même à leur égard car ce sont elles, ces roues, qui font circuler l'énergie à travers chaque soi qui en a pris conscience. Le traducteur de Comment pensent les forêts, G. Delaplace, introduit d'ailleurs un mot relevé par E. Littré pour traduire le terme anglais de selfhood: la séité. « Construit sur la même racine latine se dont dérive "soi", il sert à désigner la "qualité du soi" - le fait d'avoir un "soi" et la plus ou moins grande mesure dans laquelle un être en témoigne. » 42

La séité/selfhood n'est d'ailleurs pas propre à l'être humain, mais bien « coextensive à la vie elle-même ». 27


Nulle Part, un carrefour ?


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