Quel siècle que le nôtre, où il y a tant de critiques et juges, et si peu de lecteurs.
Montesquieu (1689-1755)

 Un Essai adossé à la lecture
de l'oeuvre de J. F. Billeter,
plus particulièrement
Esquisses, éd. Allia, 2017.
 

Plan

Premier chemin d'errance infinie In extremis
Deuxième chemin d'errance infinie Désamorcer
Troisième voie radicale Urbanisme mieux pensé
Monnaies locales Dilapidation des terres arables
Coopératives ouvrières Transports pollueurs
Penser par soi-même Se prendre en main
Éthique citoyenne Une démarche fédérative
Pourquoi ça foire ? On attend quoi ?
Impuissance Le temps du changement ?
Trois causes de nos maux  

 

En retraçant les cheminements de l’histoire au sortir du moyen âge en Italie puis en Angleterre (E36), l’auteur en détaille deux:
Premier chemin d’errance infinie
Les marchands pratiquant la géométrie et l’algèbre ont compris que « toute réalité matérielle pouvait être mesurée et représentée par des figures et des nombres ». Le langage mathématique « ignore les synthèses imaginatives qui donnent leur sens aux mots et naissent en nous par INTÉGRATION d’éléments de notre expérience.
Le langage mathématique « exclut l’imagination, seule créatrice de sens, mais s’est imposé comme une rationalité supérieure, à cause de:

- sa rigueur,
- ses développements infinis,
- son efficacité pratique. »

Deuxième chemin d’errance infinie
L’Angleterre du XVIIIe, en initiant la révolution industrielle, a principalement provoqué une révolution sociale: « Les possédants ont créé une classe de dépossédés contraints de leur vendre leur travail contre un salaire au moyen duquel ils devaient ensuite acheter leurs moyens de subsistance. » E36, 81
Ce nouveau système numérique infini instaure le pouvoir des propriétaires du capital c’est-à-dire de l’argent & « a créé un monde vide de sens – car la fonction ne crée pas de sens. La fonction n’a d’autre fin que son fonctionnement. » E37, 83
La loi de l’infini (E38) régit un système numérique dont ce fonctionnement n’a pas de fin, dans les deux sens du terme:

- ni but,
- ni terme.

L’homme y-a-t-il sa place ? Non. L’homme a un terme (il meurt) et a besoin de buts pour vivre (autre qu’amasser l’argent...)
Troisième voie radicale

Cette troisième voie est radicale
car elle reprend le raisonnement à la racine,
la racine du mal, c’est-à-dire notamment
de l’usage néfaste qu’il est fait de
cette belle science mathématique,
poétique par nature à force d’abstractions utiles,
notamment à l’astronomie.
Cédric Villani l'a excellemment montré
dans un ouvrage intitulé
Les mathématiques sont la poésie des sciences.
Seul l'usage perverti qu'en font
les marchands,
les banques
et les puissants
est en cause,
pas la science. 
 


C’est bien pour donner davantage de sens à leurs vies que les générations plus actives que la mienne, les sexas, mettent aussi en place quelques niches protégées (Par qui ? De quoi ? Comment ?) au sein du système capitaliste. Et c’est là que le bât blesse: à vouloir quand même minauder avec le système capitaliste, ces niches, start-ups, spinoffs universitaires, etc. se font plus ou moins rapidement avaler par lui… par rachats, management buyouts etc. par des multinationales aux aguets qu'intéressent surtout leurs brevets soit pour les étouffer dans l'oeuf, soit pour les développer à leur profit.
Ils pensaient pouvoir manger aux deux rateliers: développer leurs niches, y fidéliser une clientèle commerciale et rouler en grosse berline allemande… C’était sans compter sur le pouvoir infini de leurs maîtres, les propriétaires du capital. Ils garderont leurs berlines, se croiront être devenus des capitalistes et laisseront leurs clients sur le carreau. Voir le récent exemple de Lampiris racheté par Total pour permettre à son ancien fondateur de racheter un club de foot' ! La confiance ne se donne pas deux fois: les chats échaudés craignent (aussi) l'eau froide...

Monnaies locales
C’est peut-être du côté des monnaies locales, le Val'heureux pour les Liégeois, que prend corps la sécession éthique en allant jusqu’à ne pas utiliser « leurs » moyens de paiements. Pratiquer déjà le paiement en liquide dans les petits commerces liégeois permet d'éviter le pistage des cartes bancaires par le big data, mais il me semble qu'en écrivant ces lignes, s’éclairent pour moi une autre raison d’être de ces monnaies locales: la mise en cohérence de nos actes quotidiens avec nos idées de citoyenneté responsable peuvent nous pousser à acquérir nos premiers Val'heureux.
La multiplication des monnaies locales proches des gens, du terrain, est la bienvenue. Que les échanges brassés en Val'heureux croissent en volume (oui, la loi de l’infini nous nargue…) & c’est autant de pris aux « maîtres ».

Incidemment, je me demande comment ils s'y sont pris, les tenants des monnaies locales, dont je lis depuis longtemps les écrits, notamment via Financité, pour user d'arguments qui ne m'ont jamais convaincu... Il fallait peut-être que j'y trouve mes propres raisons, davantage philosophiques qu'économiques, comme celles qui s'exposent sous vos yeux !

Coopératives ouvrières   

Le raisonnement tenu par les coopératives ouvrières fin XIXe et pendant le XXe s'adossait à une réalité économique autre: elle avaient fait le choix de s'unir (l'UNION coopérative) pour devenir commercialement puissantes et se dégager de la mainmise du patronat sur le salariat, notamment via leurs magasins d'entreprise.
Là où elles n’ont pas cru devoir se livrer une guerre fratricide entre elles, comme en Suisse (la Migros), elles ont prospéré. Elles ont par contre périclité comme en Belgique à cause de la segmentation des marchés en fonction des orientations philosophiques de leurs acheteurs… Un socialo n’allait pas au magasin Bien-être et il était hors de question, si vous alliez à messe, d’aller faire vos achats à l’Union coopérative…
Jusqu’à ce que les « maîtres » créent même en sous-main les coopératives neutres… et s'arrangent pour que les consommateurs soient davantage séduits par les supermarchés, dès les années 60.
Penser par soi-même
Commencer à penser par soi-même aide à prendre conscience des incohérences que notre société induit dans nos comportements personnels. Une meilleure mise en cohérence de nos actes avec nos valeurs conduit à poser et à revendiquer des choix plus radicaux et plus réfléchis.

Éthique citoyenne   


Parmi les dirigeants économiques, financiers et politiques, trop d'entre eux (pas tous) manquent d’éthique dans les actes qu’ils posent dans leurs professions. Et nous sommes incohérents face à leurs manquements... Pensons-y en déposant un bulletin dans l'urne, en choisissant une banque, en souscrivant une assurance, en achetant bio, de préférence en vrac. Car là est notre véritable pouvoir: dans les choix que nous posons quotidiennement. Bien sûr, nous ferons des compromis. Il suffit d'avoir entamé la progression sur ce chemin éthique pour qu'il éclaire désormais nos pas.
Pourquoi ça foire ?
Tant que les transitionneurs, quand bien même seraient-ils sincères dans leur démarche, voudront minauder avec le capitalisme, voudront chiper des parts de marché à d’autres transitionneurs…. Ils seront broyés par le système capitaliste. (Voir un exemple plus sous « Se prendre en main »)

D'un essai que je consacre à l’ouvrage récemment remanié par son auteur (J-F Billeter, Esquisses, édition Allia, 2017), je reprends la fin:
Impuissance
Il nous faudrait nous libérer de cette impuissance qui nous a envahi. Nous devrions prendre conscience que nous avons en nous cette puissance d'agir dont surgirait l'acte nécessaire à poser pour lever cette impuissance ressentie et constatée.
Car « la liberté [dont nous ne jouissons pas] n'est pas le contraire de la servitude, mais de l'impuissance. » (E49).
Trois causes de nos maux
Nous nous sentions si impuissants face au « pouvoir financier et [au] personnel politique qui est à son service ». (46) Ce personnel politique nous explique que tout le mal viendrait de l'Europe pour détourner notre attention du capitalisme qui est, selon l'auteur, une des trois causes de nos maux:

1. l'Europe est faible;
2. le capitalisme industriel et financier dysfonctionne dangereusement,
3. le milieu naturel se dégrade de façon accélérée.

In extremis
Et si ces Esquisses n'avaient d'autre but que d'assembler sous nos yeux ouverts par l'attention extrême que nous porterions à l'essentiel exprimé (E47), enfin libérés de cette impuissance à agir, alors, alors seulement, peut-être, « nous sortirions par le haut, in extremis. » (50 & 4e de couverture)

Et si il n'était pas pensable de sortir de la lecture de ces Esquisses sans avoir été marqué en profondeur par ces effleurements, ces attouchements sincères, utiles et nécessaires à enrayer la loi de l'infini (38) au profit de celle du fini (40), alors seulement, peut-être, pourrions-nous au moins rassurer l'auteur sur la pertinence de sa mise au net, lui qui se demandait dans une notule après la 50e esquisse si ces idées avaient « la moindre chance d'avoir un effet. »
Ces idées ont un effet sur ce lecteur-ci, Monsieur. Quant à savoir si la somme des déclics que vous auriez provoqués auprès de vos lecteurs produirait l'effet dont vous-même doutiez...
Désamorcer
La Terre survivrait à la disparition de l'Homme. Elle ne s'en porterait que mieux, même. L'effet escompté par l'auteur n'est vraiment pas garanti. ET CE N'EST PAS GRAVE. Enfin, je trouve. Une espèce de plus aurait disparu. Voilà tout. À voir le taux de croissance de la population mondiale, ce ne serait pas pour demain... À moins que cela ne soit un dernier soubresaut avant l'implosion finale.
Car, au fond, pourquoi faudrait-il que "ça" change ? On a "toujours" fait comme ça, n'est-ce pas, vous diront les peureux, les figés, les laquais, les impuissants...

Eh bien non, justement. » Il me semble que tout est dit sur la (dé)mesure des modifications auxquelles il s’agit de procéder si nous voulions avoir une chance minime d’en sortir par le haut. Quelques exemples:
Urbanisme mieux pensé
C’est par un urbanisme mieux pensé qu’il s’agit de procéder en amont en dépassant «l’espace foutoir (junkspace) de la Basse Modernité » (A. Berque), c’est-à-dire le rurbain diffus, la banlieusardisation effrénée des villes (avant leur bidon-avilisation et leur clochardisation finale…) pour récupérer de l’espace pour les cultures.
Dilapidation des terres arables
Il convient de convaincre  que nous consommons trop de terres pour y loger une famille, installer ses trois voitures, son abri de jardin, sa piscine, son aire de jeux pour les enfants de la maison uniquement, etc.
Transports pollueurs
Les transports en commun restent inadéquats pour relier efficacement ces banlieues cossues et la métropole proche. Donc la voiture assassine l'environnement dans lequel nous vivons.
Se prendre en main
Tant que « les gens » ne se prennent pas en main personnellement, et surtout radicalement, il n’y aura pas d’issue. Il est souhaitable que nous dégagions notre impuissance de mains plus puissantes que les nôtres pour exercer à nouveau notre liberté.
La solution est-elle systémique ou la transition devrait-elle se faire à bas bruit, dans une démarche chacun·e pour soi en se faufilant à travers les mailles du filet, comme les plus ou moins 1.000 clients en un an acquis par Les Petits Producteurs, Liège (mais sur deux magasins maintenant, déjà ce toujours plus...).

Voici un exemple local d’individualisme forcené qui fait que chacun·e tente de créer sa clientèle sans tenir compte des autres: en moins de deux ans, trois comptoirs de vente de produits bio en vrac se sont installés dans un rayon de 300m autour de la Place du Marché. Tant que les petits poissons se cannibaliseront entre eux, ce sont les gros poissons qui les boufferont... par l'intermédiaire des banques, par exemple, quand l'un ou deux des trois aura fait faillite mais que les « entrepreneur·e·s » devront rembourser jusqu'au dernier centime le reste de leur vie principal et intérêts plus retards pour non paiement pour les crédits surfaits que les banques leur avaient consentis.

Cet exemple démontre au moins la naïveté de ces entrepreneur·e·s qui n'ont pas su s'entendre contre notre ennemi commun.
Une démarche fédérative
Une démarche collective semble être difficilement envisageable pour les jeunes générations. Ils ont appris à se débrouiller, sans forcément s’être correctement informés au préalable, notamment sur les erreurs du passé, dans un chacun pour soi, ou quelques-uns, en soi disant autarcie.
Même si à Liège (et plus récemment à Charleroi) une ceinture aliment-Terre/alimentaire urbaine se met en place dans une belle démarche fédérative dans les étapes de mise en place en tout cas. Car que feront-ils quand il y aura surproduction de poireaux, par exemple ? Les prix baisseront-ils, y perdront-ils « leur culotte»  ? C'est bien beau l'enthousiasme mais... la loi de l'infini les guette au tournant...
On attend quoi ?

On attend quoi ?

 

 

 

 

Citation de Wangari Maathai (1940-2011),
Militante kényane,
Prix Nobel de la paix 2004

 

Globalement, qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre à modifier nos comportements ? Que la mer ait monté, que Bruges & Gand soient définitivement sous eau… Franchement, m’en fous, j’suis à 267m par rapport au niveau de la mer, de quoi voir venir!
J’ai déposé « les armes » quant à essayer de convaincre les incanvainquables « Car, au fond, pourquoi faudrait-il que "ça" change ? On a "toujours" fait comme ça, n'est-ce pas, » vous diront ces peureux, ces figés, ces laquais, ces impuissants...
Eh bien non, justement. » J’y reviens toujours. Je bute contre cet écueil à mon sens incontournable.
Le salut par l’éthique
Il est une économie qu’on ne peut pas ne pas faire: c’est par une refondation philosophique de la place de l’homme (cette espèce nuisible…) sur Terre qu’il faudra en passer. Notre empreinte écologique DOIT baisser. Notre éthique de vie doit se renforcer.
C'est à cela que s'emploient les Éditions de Nulle Part avec Spinoza pour balise, entre autres, mais aussi le shivaïsme tantrique non dualiste du Cachemire et la reconquête de soi par la relaxation/méditation; j’y essaie d’intégrer les apports d’indianistes réputés qui ont traduit tant de textes écrits en sanskrit, en cachemirien et en chinois montrant que des penseurs extrêmes-orientaux étaient à leurs époques (plusieurs siècles avant notre ère) bien plus avancés que les nôtres qui couraient après un dieu quelconque. Des maîtres zen, des bouddhistes non religieux, des shivaïstes cachemiriens, des taoïstes chinois aussi. Et tout récemment Tchouang-tseu, maître chinois du 3e siècle avant notre ère, découvert grâce à J. F. Billeter.
Le temps du changement ?

La Vie des Idées a aussi réfléchi sur les monnaies locales.


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