Un terme apparait épisodiquement sous la plume d'auteurs qui font profession de philosophie: hypostase. Il n'appartient pas exactement au Vocabulaire de base du français moderne ! J.-C. Martin y consacre quelques paragraphes dans Multiplicités, 17-18, en associant le concept à la multiplicité, montrant comment Plotin l'utilisait. Mais il ne définit pas le terme à proprement parler. J'ai dès lors cherché à en rassembler quelques synonymes:
- le synonyme le plus utile que j'aie trouvé semble être level of reality, niveau de réalité, utilisé par Stephen Law (Philosophy, Dorling Kindersley, Eyewitness companions, 2007, p.56);
- Lucien Jerphagnon, en ses Portraits de l'antiquité, confirme en resserrant encore la synonymie sur réalité: « Chaque hypostase, chaque réalité. » (page manquante dans mes notes, sorry !)
Par ailleurs, J.-C. Martin, dans l'avant-dernière hypostase d'un ouvrage qu'il a consacré aux Multiplicités (il l'a intitulée « Du combat ») revient sur le terme même d'hypostase; d'elle, il nous dit: elle n'est pas une extase & il explique que le préfixe HYPO « est l'indice
- d'une certaine lenteur,
- d'un sous-régime,
- d'où se ramasser
- et se relancer
- une espèce de chute ascensionnelle
- un art
- de tomber sur soi
- de s'effondrer en chute libre
- et de TROUVER, dans le sol, la dispersion des forces qui pourtant nous retournent vers le soleil. » 162
Il continue: SOL & SOLEIL sont liés, « le sol récupère les reflets du soleil & nous laisse
- monter
- OU descendre
- DE la matière vers l'âme
- OU DE de l'intelligence vers l'âme animant toute chose sans lui appartenir. » 162
Âme & Intelligence se fréquentent peu sur Nulle Part, comme termes, ils ne servent en tout cas pas de référents récurrents. Cependant, le mouvement
- À LA FOIS d'ascension
- & de descente en soi
est bien celui-là qui se répète ici sous la forme d'un ancrage du corps dans le sol, son havre, relié
- à la matière même de la matrice
- qui nous héberge
- & nous consent, la Terre, y compris en son noyau liquide
- & à l'énergie universelle de nature astronomique.
En janvier 2021, Jean-Clet Martin s'entretenant avec Jean-Philippe Cazier revient longuement sur le terme hypostase, qu'il rend par PLAN. Extraits de Faut-il brûler les postmodernes ?
« Les multiplicités nous donnent accès à une infinité de types d'expériences. » Les multiplicités « se composent » (s'assemblent ?) « dans nos rapports
- aux animaux,
- aux végétaux,
- & aux hommes
de sorte que
- l'esthétique
- autant que l'éthique,
- les arts
- autant que les sciences,
POUSSÉS au bord de leur extrémité critique,
OUVRENT notre finitude à l'infinité des attributs dont nous ne savons habituellement rien. ...
Dans l'exercice quotidien de nos facultés,
- une hypostase de folie,
- une hypostase de contemplation folle
nous poussera
- à dépasser la frontière de nos diagrammes,
- à ployer de nouvelles lignes.
Telle est l'EXPÉRIENCE à laquelle OUVRE ce que je nomme multiplicités. » 130
Le philosophe fabrique/ l'artiste ou le mathématicien crée
- des agencements qui engagent une histoire
- mais encore des plans.
Nous sommes lancés à toute allure sur des plans. ...
Certainement, L'ARTISTE se débrouille avec des plans.
Il fixe ou casse
- un avant-plan,
- un arrière-plan.
Il ouvre
- des plans couchés
- ou des plans debout.
- des plans-séquence
- ou des montages de plans.
LE PHYSICIEN lui-même se donne des plans:
- le plan incliné,
- le plan courbé,
- la bille qui roule sur un plan,
- le repérage cartésien sur un plan,
- ses fonctions.
Les plans sont innombrables & obstinés.
Les plans sont parcourus
- de démons comme chez Maxwell,
- ou
- de catastrophes comme chez Thom... » 130
« La philosophie aussi est faite de PLANS
- lisses,
- stratifiés,
avec des forces, des attractions passionnelles qui restent obscures. » 131
L'idée de multiplicités s'accorde volontiers aux plans deleuziens... mais il me parait difficile
- de nombrer simplement sur un plan,
- d'occuper un plan en philosphie
- ou de le nombrer en mathématicien.
L'existant que nous sommes est pris surtout dans la nécessité
- de traverser des plans nombreux
- et
- d[e] rejoindre [des plans] qui sont bien loin de celui que nous occupons actuellement. » 131
Pour exister, il est nécessaire d'occuper le plan dans lequel nous sommes, il est nécessaire de traverser des plans nombreux, il est nécessaire de rejoindre d'autres plans.
Pour traverser, rejoindre, occuper, « il me semble qu'il y faut une instance vivante, plus intimée. » On n'a pas seulement affaire à des procédures, des dispositifs, des montages, des processions plotiniennes. » 131 « Vivre dans les plans de manière qui ne soit pas générique » (? comme tout le monde ?), « cela passe par des processions. C'est Plotin qui invente ce concept étrange de procession, idée orientale selon laquelle tout procède
- en gigognes,
- entre des plans (stases ou hypostases)
- des jardins zen
- &
- des gazons anglais,
qu'il y a par conséquent des PROCESSEURS
- au coeur des formes,
- au coeur de leur information,
- &
- sur lesquels nous sommes entrainés de façon vertigineuse,
- entre lesquels
- nous tombons
- ou [nous] nous redressons POUR UNE VIE UNIQUE DONT LA CHUTE N'INVERVIENT QU'UNE FOIS; » 132
Nous sommes entrainés de façon vertigineuse sur des processeurs au coeur des formes, au coeur de l'information contenue dans ces formes. Se note plusieurs déclinaisons autout de procès: processeur, procession, procéder, processus.
Il semble que les précisions apportées par ces trois pages (130-132) sont susceptibles de fixer de manière pérenne le sens du mot hypostase. Le processus d'engrammage dans la mémoire au long cours de ce mot de vocabulaire est bel & bien entamé !