Pascal Engel, En attendant Nadeau, 26 3 2019, Spinoza par-ci, Spinoza par là:
« Au sein de cette marée spinoziste, qui ne cesse, dans ses versions romantiques et révolutionnaires, de nous dire qu’il ne faut pas lire l’auteur de l’Éthique sub specie aeternitatis mais comme s’il avait publié hier sur son blog, un livre comme celui d’André Pessel sera un havre.
Deleuze nous expliquait qu’il ne fallait pas lire le Hollandais selon l’ordre géométrique seulement, mais aussi et surtout dans les scolies, où il exprime ses thèses et où éventuellement il polémique.
Mais on ne peut pas lire Spinoza comme on lit Descartes, comme histoire d’un esprit.
André Pessel, qui a formé des générations de philosophes passés par le lycée et la khâgne de Louis-le-Grand, grand spécialiste de la pensée de la Renaissance et de l’âge classique, traite de Spinoza en lecteur.
[André Pessel] ne cherche pas à l’annexer à telle ou telle doctrine ou marotte, mais [il cherche] à faire comprendre comment cet ordre géométrique impersonnel s’impose au lecteur comme s’il n’était pas de Spinoza, mais déroulait les choses mêmes.
[André Pessel] entend montrer comment les apories usuelles
- (le tout de la substance et ses parties,
- la relation de l’infini et du fini,
- l’aspect statique que la géométrie semble induire
- et le caractère dynamique du conatus)
se résolvent quand on comprend
- comment les éléments s’intègrent entre eux,
- et que le spinozisme contient une conception de la puissance qui s’auto-produit.
On aimerait souvent que Pessel soit moins elliptique, mais son livre modeste et subtil est un excellent antidote au spinozisme débordant. »
Note perso: sur Aporie, ceci extrait de la Terminologie mésologique dynamique figurant dans le recueil philosophique consacré à A. Berque:
APORIE | ÉTYM. Av. 1789; apore, 1704; lat. ecclés. aporia, mot grec, de a- priv. (→ 2. a-), et poros « chemin ». ◆ Log. Difficulté d'ordre rationnel paraissant sans issue, contradiction insoluble. ➙ Paradoxe (logique). NOTE jm: j’aime beaucoup qu’aporie signifie, ce que mon anhellénisme découvre, « sans chemin ». L’auteur lui-même attirera notre attention sur un poème d’A. Machado « Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin. » 206 |
LE GRAND ROBERT ÉLECTRO-NIQUE, LGRE |
La table des matières contient d'utiles synthèses de la main de l'auteur, si utiles d'ailleurs que la recension de P. Engel y emprunte un passage sans le dire:
Quelques incursions personnelles
Ch. 1 Effet de discours & effet de texte: Une exploration personnelle
Une seule méthode suffit pour
- interpréter la nature
- & interpréter l'écriture des textes sacrés des trois religions du Livre.
Pour interpréter la nature & pour interpréter les écritures, une seule méthode est requise.
Chaque texte peut revêtir plusieurs sens. Ces sens pluriels se construisent à l'occasion
- de lectures plurielles par différents auteurs
- & de plusieurs lectures par soi
Ces sens construisent la lecture elle-même qui devient ainsi un effet du texte, càd que la lecture plurielle permet au lecteur, à la lectrice de ressortir transformé par l'effet que le texte exerce sur elle-lui.
Donner une représentation adéquate d'un texte en restitue sa vérité. Cette représentation adéquate se distingue du sens que revêt un texte en fonction
- des situations
- & des publics.
D'une part, l'Éthique procède à la critique de la notion de sujet comme principe.
D'autre part, l'Éthique procède également à la critique de la théorie de la représentation.
Ch. 2 La réception de Spinoza & l'antispinozisme
Pour de nombreuses lectures des Opera Posthuma, spinozisme & athéisme se confondent. Cela a pour effet de faire disparaitre Spinoza. Une erreur de réfutation consiste à travailler sur une théorie de la substance alors que « L'Éthique met en oeuvre avec le conatus [Tendance, Effet, Pulsion] une théorie de la puissance qui engage une ontologie, [càd un discours
- sur l'être de ce qui est
- sur les étants en général. A. Comte-Sponville, dico philosophique.]
visant à l'intégration à l'infini. »
Le travail philosophique auquel A. Pessel semble nous inviter consiste aussi à enclencher en cours de lecture des réflexions personnelles. Par exemple, celle-ci: la confusion entre Spinoza & athéisme,
- qui a pour effet de faire disparaitre Spinoza, parce qu'il est en quelque sorte instrumentalisé dans un débat qui n'est pas le sien propre,
est une bonne manière de qualifier
- le dévoiement auquel,
- la récupération à laquelle
R. Misrahi procède en transformant Spinoza en héraut athée. C'est son combat personnel. Il le poursuit d'ailleurs dans son oeuvre philosophique personnelle, avec succès cette fois. C'est une des raisons qui m'a fait abandonner la traduction qu'il a effectuée au profit, dans l'ordre chronologique, de celle de B. Pautrat et beaucoup plus récemment de P.-F. Moreau. C'est bien dit par A. Pessel, en peu de mots, tous essentiels.
Est-ce dès lors un discours sur ce qu'est l'intégration de la puissance à l'infini ?
Ch. 3 Un réalisme de l'infini
L'idée même d'infini porte en elle la puissance. Comment effacer la problématique de la substance au profit de la puissance. Pour penser, pour se faire une idée réaliste de la puissance, il y a lieu de raisonner en termes de continuité.
Le concept de continuité marque la différence entre deux théories du mouvement:
- Une mécanique statique
- & une physique dynamique.
Or Spinoza pense une physique de la force.
[Je déduis donc que cette physique de la force est dynamique.]
Dès lors, la question est: Quel est l'écart entre
- l'actualité de l'infini
- & l'actualité du fini ?
Il y a des rangs (des degrés ?) d'infini. Conséquence: infini & transcendance sont disjoints.
Ch. 7 Desanti lisant Spinoza
En lisant l'Éthique, nous apprenons qu'en menant la critique d'une maitrise illusoire, on y découvre ce qui permet de définir la sagesse comme la prise de conscience de connexions réelles qui nous constituent comme effet d'autre.
Je tente de reformuler: Spinoza, en étiquetant comme illusoire tout sentiment de maitrise dans l'absolu, définit au passage la sagesse de façon très dynamique puisque cette sagesse permet de prendre conscience que c'est parce que nous sommes en connexions plurielles avec le réel qui nous entoure que nous pouvons constater que nous résultons d'effets que d'autres exercent sur nous.
Ils/elles sont des causes produisant des effets qui exercent sur nous une ou plusieurs actions.