Pour la deuxième fois, un philosophe de la nouvelle génération consacre une brique à Spinoza: le premier lu, c'était Maxime Rovere dont le Clan Spinoza, paru en 2017, a fait vivre de l'intérieur l'aventure spirituelle exceptionnelle de ce philosophe de prédilection. Celui-ci est un obscur moine auquel Ariel Suhamy a consacré une somme, parue en 2016, sous-titrée « De Charlemagne à Spinoza, le procès de la prédestination ».

 Le livre est une lecture de la fin de l'époque carolingienne: des historiens, des théologiens se sont penchés déjà sur ce moine oblat (né au début du IXe et décédé le 30 octobre 868 ou 869). Oblat c'est-à-dire offert par ses parents au monastère de Fulda, situé en Hesse allemande. C'est peut-être la première fois qu'un philosophe s'empare de cette vie-là en peignant « des idées: celle de promesse, périlleux mélange de religion & de politique, celle de persévérance qui en dérive & la rend problématique, celle enfin de nécessité qui s'épanouit au cœur de la dispute, au grand effroi de tous - fleur vénéneuse & têtue dont la culture prendra quelques siècles encore avant de produire ses fruits, dont le principal est de libérer l'esprit de toute forme de fatalité. » 13

Une (longue) fréquentation d'un Dictionnaire des saints (cnrs), chiné,  pour rencontrer Boniface (680-754), rend de la profondeur à l'époque qui précède. Boniface a en effet fondé le monastère de Fulda auquel l'enfant est confié.


« La vertu véritable consiste ...

  • à comprendre ce qui convient à notre nature,
  • & à s'abstenir de ce qui lui nuit, [à notre nature]. » A. Suhamy, à propos d'un courrier échangé entre B. Spinoza & Blyenbergh. 328

« Quant à moi, précise Spinoza, je m'abstiens [de commettre des crimes],

  • parce qu'ils répugnent expressément à ma nature singulière
  • [& parce qu']ils me feraient m'écarter de l'amour & de la connaissance de [la nature]. 328

A. Suhamy: « l'objet de l'Éthique est d'apprendre à connaître les causes

  • de la sagesse
  • comme de l'ignorance.» 239

Cette forme de commentaire est tranchante. Elle enchante.


J'éprouve une grande fascination pour l'érudition majuscule dont fait preuve A. Suhamy dans Godescalc qui n'est ni un roman, ni une biographie & est sous-titrée: De Charlemagne à Spinoza, le procès de la prédestination. Sur la couverture, l'éditeur a également inscrit: Essai| Histoire. Cela achève de préciser le propos de ce bel ouvrage.

Muni d'une telle palette de vies retracées... que de soirées de lectures en perspective, avec des idées comme personnages principaux dont les effets se font écho tout au long des siècles.

À conduire un récit entre l'oblation d'un petit enfant à son exclusion par l'institution à laquelle son père, sa mère l'ont confié, en suivant les circumnavigations d'un oblat devenu moine puis défroqué parce qu'il avait appris à lire, à raisonner, à écrire aussi, c'est faire le récit d'un hérétique en son siècle, le 9e de notre ère. Appeler à reconquérir un message sans sa charge séculière déviante était un geste fort; c'est pareil geste que Godescalc a posé:

La religion a souvent recouru à l'appui des princes pour « gouverner les fidèles, protéger les prêtres, clercs, moines, nonnes de Dieu... « Pas plus que je ne puis, dit Boniface (680-754), prohiber en Germanie les rites païens & l'idolâtrie... » La religion a besoin d'inspirer la peur pour substituer une croyance à une autre, davantage proche de la nature...

Les nombreux tenants & aboutissants de l'oblation nous sont présentés de façon didactique, précise & située dans l'histoire longue non pour nous la faire admettre mais pour en expliquer la réalité auprès d'aristocrates (dont les parents faisant oblation de leur fils) douze siècles avant le nôtre. Cette mise en perspective est propice à nous offrir une fenêtre ouverte sur tant de mondes pas si révolus que cela, finalement.

À plusieurs occasions, l'auteur nous soumet une question dont il déroule, en les résumant, les tenants & les aboutissants avant de nous en livrer l'issue historique. C'est précieux et l'ensemble de l'ouvrage nous fait goûter l'époque carolingienne, franque en même temps que les controverses religieuses qui ont secoué les différents périodes historiques qui s'étendent entre Charlemagne & Spinoza. Ce fil narratif ni romancé ni historique est très original.

Les rois mérovingiens sont renversés par les Francs, en particulier Pépin puis son fiston, Charlemagne. Les Saxons, dont les territoires sont conquis par les rois francs, accèdent, une fois convertis  à la prêtrise notamment au même titre que leurs anciens envahisseurs... Il s'agit là d'une stratégie consciente & éminemment politique d'insertion, d'intégration à l'empire.


Dans sa bibliographie commentée, un modèle du genre, A. Suhamy recommande la lecture de plusieurs ouvrages ainsi que quelques sites; une sélection:


A. Suhamy est un auteur suivi sur Nulle Part & continuera de l'être. Voici les liens vers d'autres essais qui consacrent d'autres ouvrages de lui:

 

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