L'auteur est connu pour avoir passé cinq ans à écrire le très réussi roman consacré au Clan Spinoza. C'était en confiance que ce livre-ci, antérieur au Clan, avait été emporté lorsqu'il avait croisé ma main sur une table de librairie.

L'ouvrage, plus austère, gisait inlu dans La Léonardienne. La porte d'entrée semblait se dérober au regard. Et puis un jour, en guise de clé, sa conclusion. C'est un des passe-partout offerts par la lecture experte telle qu'elle a été définie par François Richaudeau.


La conclusion de Maxime Rovere, en indiquant les intentions poursuivies dans l'ouvrage, aboutit à nommer une éthique de la liberté à côté d'une éthique de la béatitude, & non de la joie.


« La béatitude consiste à percevoir toutes

  • choses,
  • actions, (action est une des traductions possibles de tao, la voie, selon les deux sinologues J. F. Billeter & J. Lévi.)
  • passions,
  • joies,
  • tristesses

dans un rapport à la nécessité qui rend ... notre rapport au monde éternellement satisfaisant. » 362

« Par la béatitude se définit

  • une éthique faisant feu de tout bois,
  • une éthique conditionnante. »

Les seules épreuves à traverser sont celles que notre imagination traverse: « ces épreuves sont nos pouvoirs, ces franchissements sont nos actions, ces affects sont notre joie. »

La béatitude n'est conditionnée par rien; au contraire, la béatitude

  • conditionne,
  • est la condition,
  • (est conditionnante).

Elle nous permet de reconnaitre notre efficience, ce qui revient à se faire NATURANT.

« Plus cette efficience est consciente, plus cette NATURATION est active. »

Je reformule: c'est donc en devenant

  • de plus en plus
  • & de mieux en mieux

consciente que la béatitude deviendrait progressivement la (seule ?) condition de notre efficience

  • accrue,
  • en processus d'accroissement.

C'est ainsi que nous agirions en faveur de notre NATURATION.

Une habitude prise dans la lecture d'ouvrages de vulgarisation scientifique, je commence fréquemment à lire un ouvrage par sa conclusion en poursuivant par l'introduction. Je n'ai donc pas encore lu l'ensemble des Méthodes pour exister que Maxime Rovere adosse à l'Éthique. Je n'ai donc pas encore trouvé un développement propre à qualifier cette naturation.

S'agirait-il de l'incorporation en soi, en son corps propre, de la nature ?

La naturation serait-elle un processus qui consiste à se naturer, càd à acquérir son essence propre  en l'incorporant en soi, en son propre corps & devenir activement ainsi partie prenante de la nature naturante, càd de la nature comme cause de soi & comme liberté ?

Le substantif NATURATION semble être un néologisme comme le verbe SE NATURER. Je trouve dénaturation comme renaturation dans le LTFi, mais pas naturation.

L'apparent néologisme mis au point par M. Rovere correspondrait-il à la discussion plus approfondie déjà entamée sur Nulle Part à propos du verbe se naturer ? Voici à nouveau le lien vers: Se naturer, c'est endosser sa nature propre.

Être naturé consisterait-il pour l'humain à savoir de façon à la fois intuitive & rationnelle qu'il est partie prenante de la nature, au même titre que l'ensemble du vivant ? Il se dériverait alors de ce savoir, il en découlerait une sorte de duction d'égo, que l'espèce humaine tend à "survitaminer" ! Cette duction d'égo serait propice à rengainer l'espèce humaine à sa plus juste place dans le vivant, sans autres droits autoproclamés que ceux dont jouit le reste du vivant.


La conclusion est la première clé offerte. La deuxième clé est une table des matières très méthodique. L'auteur s'emploie dans le premier chapitre à justifier le titre de sa thèse de doctorat, dont l'ouvrage est le reflet. Il cueille ensuite dans l'ensemble des oeuvres de Spinoza des méthodes en vue de/pour

  • amender nos erreurs, (ch II),
  • déployer nos forces, (ch III),
  • réformer notre imagination, (ch IV),
  • activer nos passions, (ch V),
  • s'orienter dans l'existence (ch VI),
  • comprendre "Dieu" [entendez la nature], (ch VII),
  • vivre libres (ou la fin des promesses) (ch VIII).

Chaque chapitre se présente sous la forme de questions rhétoriques. Un seul exemple:

 

Chaque question rhétorique, l'ouvrage en compte 23, se voit ainsi décomposée en plusieurs sous-questions.

Cette façon de procéder ne semble rien laisser au hasard. Elle offre à chaque lecture de quoi y conduire sa vie de  manière plus philosophique en fonction des questions qui se posent au soi sur le moment. Spinoza s'aborde en 82 sous-questions, trois ou quatre à la fois.


Mine de rien, M. Rovere possède aussi, comme & après tant d'autres philosophes, une connaissance enclyclopédique des oeuvres complètes de Spinoza. Elle l'autorise à s'affranchir de l'ordre géométrique cher à Spinoza. S'élabore dès lors sous nos yeux un ordre méthodique qui lui est propre & qu'il met au service de nos vies ultracontemporaines.

La proposition est adacieuse; le résultat, souvent très utile: il suffit de trouver la question collant le mieux au moment de vie traversé sur notre chemin propre !

Après m'être penché sur quelques questions, & en avoir apprécié les subtilités utiles, je sais que je reviendrai à cet ouvrage.


« Je pense que j'ignore... »

Lettre 30 de Spinoza à Oldenburgh: « Je pense que j'ignore

  • comment chaque partie de la nature convient avec son tout,
  • & comment elle est en cohérence avec les autres. »

Spinoza pense à son ignorance, résume M. Rovere, qui y décèle du vide dans ce rapport entre les parties ainsi qu'entre les parties & le tout. L'ignorance ici revêt une coloration dans la masse, comme si, en l'état & après en avoir fait le constat, Spinoza en prenait son parti. Est-ce une manière de dire: Ce que j'ignore, jamais je ne le saurai. Il n'en aura pas le temps, en tout cas. Cette convenance, cette cohérence des parties entre elles, les sciences de son temps en ignorent, tout autant que Spinoza par voie de conséquence, les causes. Cette ignorance semble faire partie de l'INSU propre à son époque. Spinoza était très au fait de l'état des sciences de son temps. Sa bibliothèque en témoigne. Copernic (1473-1543), Boyle (1627-1691), Gassendi (1592-1655), d'autres encore, leurs avancées lui sont familières.

& la nôtre d'époque n'est pas en reste: de très nombreuses avancées ont bien sûr eu lieu depuis le XVIIe siècle, mais tant de scientifiques cherchent encore avec application d'autres liens, d'autres convenances, d'autres cohérences ! Spinoza nomme correctement l'ignorance qui le fait penser. Je reste moins convaincu par le vide nommé par M. Rovere, mes lectures extrêmes-orientales probablement !

Tant de scientifiques s'acharnent à faire affleurer du savoir qui devient du su, sous la couche profonde d'insu dans laquelle nous sommes empêtré·e·s. Les sciences augmentent de façon continue la connaissance que nous avons du fonctionnement des choses (tao).

« La raison ... est faite pour tracer, plus ou moins aveuglément, la singularité d'un parcours, si bien que, prenant appui sur le cours des choses, nous soyons de plus en plus aptes à déterminer notre chemin. » 256 (tao)


L'intuition

L'intuition fait l'objet sur Nulle Part d'une bribe philosophique sous la forme d'un essai charpenté. Cette bribe a été pensée & rédigée avant d'entamer la lecture de cet ouvrage-ci. Elle n'a plus été remaniée depuis décembre 2019. Il me semble que ce qui se retient de ces Méthodes pour exister roveriennes, lues en août 2020, pourrait à nouveau faire évoluer cet essai. Chaque chose en son temps.

Voici, en attendant, ce que j'en retiens pour l'instant: une suite de triturations. Elles me permettent, en simplifiant la langue philosophique, d'en extraire des phrases à la syntaxe peut-être quelque peu simplifiée, même si M. Rovere n'écrit pas du tout de manière obscure. Sa syntaxe est davantage charpentée, toutefois. Je la désincarcère ci-après.

  1. Il est nécessaire de penser ceci: la mise en oeuvre de la raison ne peut manquer de faire intervenir la connaissance/la nécessité de son action.
  2. La connaissance de la nécessité que la raison agisse a pour nom l'intuition.
  3. Savoir qu'il est nécessaire que la raison agisse, càd soit mise en oeuvre, c'est l'intuition.
  4. L'intuition consiste à savoir qu'il est nécessaire que la raison agisse.
  5. L'intuition est immanente à la raison. 299
  6. L'intuition n'étend pas son champ du clair-&-distinct (idées claires & distinctes) au-delà du rationnel, au-delà de la raison.
  7. La raison fonde ("est le fondement" de) tout ce que nous comprenons clairement & distinctement sur les propriétés communes des choses.
  8. IL N'Y A D'INTUITION QUE DANS L'EXERCICE CONCRET DE LA RAISON. 300
  9. L'intuition consiste à savoir qu'il est nécessaire que la raison s'exerce pour qu'elle-même, l'intuition, puisse agir.
  10. Le sujet de l'intuition se rapporte directement à la nature. 301

 

 

 

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