« Selon moi, la philosophie ... ne permet [pas] de vivre plus sagement le quotidien. Elle entend traiter de problème qui ... sont ... liés à des enjeux plus profonds, concernant la condition humaine ou l'être des choses en général.
Le seul bénéfice à attendre d'une telle manière de pratiquer la philosophie ... réside ...
- dans une augmentation de lumière,
- meilleure connaissance de [l'humain] & des choses. 38-39
L'essence même du réel, c'est de ne pas avoir de double. Il est dans la nature du réel d'être absolument singulier. 41
Alexandre Lacroix, directeur de rédaction de Philosophie Magazine, s'est plusieurs fois entretenu avec Clément Rosset dans son magazine. Un an après la disparition du philosophe, il a assemblé & a en quelque sorte réorchestré à sa manière propre ces entretiens pour nous en offrir un large échantillon:
- Le réel finit toujours par prendre sa revanche
- Oedipe & le génie de la philosophie
- Ignore-toi toi-même
- Nietzsche ou l'extrême optimisme
- Spinoza & les amateurs de melon
- Aventures au pays des doubles
- Critique de la faculté de gaffer
- La politique ne m'intéresse guère
« Si je progresse dans la compréhension
- de ce qui me gêne,
- de ce que Spinoza appellerait les obstacles à ma puissance d'agir,
cet accroissement de lumière aura un effet bénéfique sur moi. » 63
Si je comprends de mieux en mieux quels obstacles entravent ma puissance d'agir, cet accroissement de lumière aura un effet bénéfique sur soi. »
Style
À l'étonnement face à la permanence du style écrit de C. Rosset, il compare celui du Réel & son double (1976) à celui de La part invisible (2012) pour en dégager l'unité de style dans le temps:Soit, il y a une sorte de mystère de la permanence de certains traits de caractère, je ne sais pas bien vous répondre sur ce point, sans doute me concerne-t-il de trop près. 66
Narcisse
Nous vivons une époque effrayante de narcissisme, & tout ce qu'on fera pour dissuader nos contemporains de se contempler le nombril sera de salubrité publique. 66
Nietzsche
De tous les philosophes, [Nietzsche] est celui qui exprime le plus intensément l'amour de la vie, avec Spinoza. 71
Nietzsche, dans Le gai savoir: Toutes choses, absolument toutes choses qui nous adviennent, tournent constamment à notre avantage. 72
La pensée de Nietzsche, comme celle de Spinoza, est implacable & cruelle. 76
Nietzsche a écrit deux maitres-livres pour C. Rosset: Le gai savoir & Par delà le bien & le mal.
Nietzsche considère qu'ignorer la mort est le sommet de la sagesse. 79
Joie
Sur le plan philosophique, la tristesse est constitutive de la joie. en effet, une joie
- qui ferait abstraction des pires douleurs,
- qui nierait que nous sommes fragiles & mortels,
pourrait passer pour une sorte de folie, de déni.
L'air de rien, C. Rosset synthétise Spinoza; en effet, il galvanise ensemble joie & tristesse en attribuant à la tristesse la fonction d'être un élément constitutif de la joie. Il s'affirme ainsi sans bruit qu'une joie sans tristesse ne tient pas la route.
Affirmer le monde, prôner la joie, c'est d'une grande cruauté puisque cela revient à opposer un front insouciant aux pires catastrophes. 76
Mais une joie
- qui sait faire la part du tragique,
- qui reconnait
- la vulnérabilité de l'être humain,
- sa souffrance,
- & qui, en même temps, considère qu'il est possible de dépasser celles-ci
- càd la part du tragique,
- la vulnérabilité de l'être humain,
- la souffrance
pour aller vers un sentiment de gratitude, est superbe.
Plénitude
Toute la force d'un être humain consiste en ceci: savoir
- que l'on va vieillir,
- que l'on va souffrir
- & que l'on va mourir,
& être heureux en assumant pleinement cette pensée. Seul·e celui[/celle] qui accepte le caractère inéluctable de la mort, si bien qu'il n'y pense même plus, sera capable de s'ouvrir à la plénitude de la vie. 80
Spinoza
Le coup de force de Spinoza est de proclamer
- l'unité profonde de la réalité & de Dieu,
- l'intelligibilité intégrale du réel.
Dans les définitions du livre II de l'Éthique, Spinoza écrit: " Par perfection & par réalité, j'entends la même chose." C. Rosset prend soin de préciser que Spinoza
- n'affirme pas que la réalité est parfaite, au sens où rien ne serait susceptible de la moindre amélioration,
- il veut dire qu'il est inutile de chercher une chimérique perfection
- en dehors de la réalité,
- dans une hypothétique substance inétendue,
- en Dieu,
- ou dans l'au-delà. 87
Il n'y a pas de perfection en dehors de ce qui existe.
La nature est infiniment superposée à elle-même. Il ne lui manque rien
C. Rosset: Je me sens très proche de la conception de Spinoza selon laquelle la joie permet d'accéder à la sagesse. 92
L'accès à la sagesse est facilité par la joie.
Spinoza conçoit qu'il est possible d'accéder à la sagesse,
entre autres au moyen de la joie lorsque celle-ci lui préexiste.
C. Rosset: À force de lire Spinoza, je me suis convaincu que cet homme avait été, dans sa jeunesse, très colérique & qu'il avait réussi à se délivrer de ses accès de colère. Cela se sent dans ses démonstrations qui sont
- tumultueuses,
- emportées,
- souvent en rupture avec le style de ses propositions & de ses scolies. 92
Spinoza est une sorte de bouddha,
une divinité philosophique qui domine toutes les autres pensées.
On n'aura jamais fini de comprendre l'Éthique.
Le réel
J'ai placé au centre de tous mes essais un concept-clé: le réel. 95
Il y a une constellation de concepts secondaires qui gravitent autour de lui... le double, l'illusion, la joie, la nature, l'identité, le rêve, etc.
Je n'écris jamais parce qu'il me vient une idée nouvelle, mais toujours parce que j'ai envie de raconter un nouvel épisode des rapports qui existent entre ces concepts. 95
Dans Le démon de la tautologie (1997), j'ai donné la définition du réel: J'appelle réel tout ce qui existe en fonction du principe d'identité qui énonce que A est A. 97
L'objet du réel n'est que lui-même & rien d'autre.
Il y a bien un secret de l'existence, mais ce secret est qu'il n'y a justement pas de secret. 68 (temps modifié à cause d'une modification de syntaxe)