Cet article constitue une sorte de mode d'emploi ayant pour intention de nous assurer, ses lectrices et lecteurs assidus, que rien ne se perde:

  • à vous "révéler" l'ajout (« édition augmentée » disait la mercatique éditoriale) d'un chapitre, mais le retrait d'un autre...
  • et à déplorer l'absence d'un sommaire dans l'édition 2016.

Jamais encore je n'avais entrepris de vous parler de ce roman de Jacques Abeille figurant dans le Cycle des Contrées. J'entreprends donc un voyage à travers les deux éditions en ma possession de ce roman.


  Les voyages du fils
éditions Gingko
Les voyages du fils,
éditions Le Tripode
date de
publication
2008 2016
Nombre
de pages
284 242
Sommaire Présent Absent, ce qui est une forme de (petite) faute éditoriale, connaissant l'importance que prennent les titres de nouvelles / chapitres chez J. Abeille.
Cela nuit à la démarche patrimoniale entreprise par la maison d'édition, en quelque sorte.
La volonté affichée de l'éditeur de procéder à une édition de référence du Cycle des Contrées sous sa bannière, démarche qui l'honore
et que j'apprécie à sa juste valeur, s'obère légèrement par ce genre de détail.
Chapitres La lettre de Terrèbre
Publiée une première fois par Deleatur en 1995, réimprimée en 2004, elle est signée Ludovic Lindien, le fils de Barthélemy Lécriveur/Laurent Barthe. Elle semble bien à sa place ici.
Disparue de ce volume au profit de son insertion dans Les carnets de m'explorateur perdu tels qu'ils sont réédités par le Tripode en 2020, 143-146. Jacques Abeille, la fin de ces Carnets, a ajouté un petit nombre de précisions; elles sont précieuses. En tant que lecteur assidu du Cycle des contrées, j'avais à l'époque de ma première lecture apprécié sa présence.
  Préparatifs de départ
  L'homme nu
  Les lupercales forestières
  Les champignons de sang
  L'auberge verte
  -

L'oiseau Grèvelong

Ici tient la plus grande surprise à la lecture de cette édition puisque cette nouvelle, ce chapitre, ne figurait pas dans l'édition Gingko de 2008.

Devrons-nous supposer que l'auteur a tenu à rédiger pour cette édition-ci un inédit ? Je n'ai en effet jamais eu l'occasion de croiser L'oiseau Grèvelong.

Devrons-nous attendre la première réunion des Amis de Jacques Abeille pour éventuellement lever le voile qui nimbe de mystère ce surprenant oiseau.

  Le notaire et le typographe
  L'oncle Léo



L'oiseau Grèvelong

Vous y saurez UEN ORD, le père adoptif de Félix, l'écuyer du Professeur qui est le personnage principal des deux romans: Les barbares & La barbarie. Félix est un enfant né à Terrèbre, devenu esclave qui fut finalement adopté par un cavalier barbare, Uen Ord. La rencontre la plus étonnante tient en un personnage féminin qui apparait tardivement dans ce chapitre: l'étonnant tient en la graphie de son prénom car la princesse est tour à tour nommée Licia, Livia et Alicia.

Prénoms de la princesse les pages où cette graphie appert
Licia 144 - 150 - 151 - 151
Livia 148 - 149
Alicia 149

 

« J'étais soudain mis en présence d'une cavalière. » 144 Autre renvoi aux romans Les barbares.


Deux citations de l'oiseau Grèvelong

(3 4 16) « Sans la mort qu'ils trouvent dans le combat, les hommes seraient en excédent, affirma la princesse sans me laisser deviner si elle parlait dans une brutale absence de réflexion ou dans l'ampleur désabusée d'une pensée cosmique. » 151

Un imparable écho à notre situation d'Occident chrétien en voie de putréfaction ? Une autre piste encore:

« Quand Terrèbre s'est livrée à ceux qu'on appelait - qu'on appelle encore - les barbares, tout le tissu social, très vite s'est décomposé. Les barbares ont bon dos; je suis sûr quant à moi que la société était déjà dans un état de putréfaction avancée. » 139


J'ai longtemps adhéré pour le Cycle des Contrées à une chronologie qui collait en gros à l'ordre de publications récentes (depuis Gingko). C'était sans compter avec d'une part L'oiseau Grèvelong, cette nouvelle apparue dans l'édition augmentée des Voyages du fils. Elle contient en elle l'après-désastre survenu sur la ville de Terrèbre, comme le montre l'extrait de la citation ci-dessus. Ce roman prendrait donc désormais peut-être bien place après Les barbares et La barbarie. Mais, bien sûr, d'autres que moi jouissent d'une plume universitaire spécialisée pour trancher en la matière.

Les mers perdues sont positionnées par les éditions Attila comme « une protohistoire des Jardins statuaires" (p. 92) Cela refourbit un ordre chronologique. Pas simple à suivre, à tout le moins...

De toute façon, la pulsation en écho que soulève en moi, à chaque relecture de ce lacis fictionnel, cette prose aux allants majestueux parcourt l'échine d'une vibration chaude & attentive. Le côté roboratif de cette plume m'est reconnaissance extrême d'en avoir un jour croisé le tracé.


Récit des voyages du fils

Le récit de ces voyages par le fils est enlevé: Le doit-il au probable enchaînement de nouvelles écrites dans un temps long et qui se rassemblent ici sous la plume du fils de Laurent Barthe (pseudo: Barthélemy Lécriveur, l'auteur du Veilleur du jour), Ludovic Lindien, derrière laquelle s'efface Jacques Abeille sans jamais s'y fondre. L'Oncle Léo, sujet de la dernière nouvelle, l'oncle de Ludovic est le jumeau de son père. Et ce n'est qu'une des révélations livrées par un vieux sage qui vit parmi les charbonniers de la forêt - in Les champignons de sang. Ah l'aventure dans les Contrées est si multifactorielle qu'elle prend plaisir à semer des cailloux partout, sur les pistes d'une cartographie désormais berneronienne, dans cette généalogie familiale complexe, alvéolée comme une ruche, dans les intersections, les recoupements, les éclaircissements qui se rétro-éclairent d'un volume à l'autre à travers tout le Cycle. Une constante: une trame de récit alvéolée par cette plume (y compris celle de l'oiseau  Grèvelong désormais !) & cette langue mellifères.


Du style

  • J'éprouvais maintenant isolé dans les hautes solitudes enténébrées un poignant désir de paroles humaines échangées dans la chaleur d'une proximité. 134
  • Qu'ai-je besoin de jeter de l'envers de ma peau sur le papier l'invisible tatouage ? 138

Quelques quasi-aphorismes

« Ce qui est terrible dans les grandes défaites, c'est qu'elles laissent quand même des survivants. » 124, éd. Gingko

« En lui l'âge de la déchéance coïncidait avec la décadence de la société qui avait donné forme à sa vie. » 127, id.

« ... on est finalement aussi sensible aux rumeurs dans les antichambres ministérielles qu'au milieu de la foule. » 240, id.

« Car s'il est un sentiment que nous ne pouvons guère nous pardonner, c'est bien le désespoir. » 252, id.

 

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