J’anticipais un souffle hors du commun dans la poésie de Jacques Abeille, fort de ces vents chauds qui m’avaient parcouru à la lecture du cycle des contrées et de ses romans érotiques.

Brune esclave de la lenteur tient toutes ces promesses et d’autres encore. Versant poésie, j’y retrouve cette fois aussi un vocabulaire tendu d’essentiel, une plume habitée du corps, des images-forces.

Du mufle palpitant à la flamme d’un écho obscur, en passant par les fesses du ciel, de chaque page sourd une poésie féminine et douce, tendresse de plume alignée en autant d’hommages à l’innommée.

Et cette lenteur que le titre annonce se fait tout à la fois habitat et passion.
« J’abuserai de la lenteur » (18)

À la gauche des poèmes, J. Abeille nous offre ses sérigraphies pleine page, traits abstraits au pinceau épais du calligraphe forçant les poils à se condenser en parallèle aux textes.

« sur la transparence éteinte de la terre
le givre étale
ses oriflammes de flexes marines
et ses germes de sel » (25)

« les pluies n’effaceront plus
les lenteurs du sable

tu danses
jusqu’à tomber dans les plumes de l’orage. » (26)

« tu te déchires d’indolente lenteur » (37)

Le lecteur est au cœur d’une relation, ce qui se relate autant que celle qui relie les amants, puisque

« au creux de mes paumes
chante sans relâche un miel tiède
et roule l’agate de tes épaules » (50)

Ce recueil est une perle impeccablement mise en scène par Ab irato. 16 poèmes, 16 sérigraphies.
Le seul étonnement provient de la 4e de couverture: le cycle des contrées y est qualifié de cycle de contes fantaisistes. Cet adjectif ne me serait pas venu. Ou alors cette fantaisie au long cours qui s’habille de cohérence pour nous offrir un univers tendu à l’extrême du rêve. La traduction de l'anglais fantasy apporte son lot d'hésitations quant à son équivalent en français, à n'en pas douter.

Gil Pressnitzer avait concocté un très beau texte, essentiel à la compréhension de la démarche de l'écrivain. Il s'intitule La quête sans fin des marges du monde. Il figure sur le site de la revue ESPRITS NOMADES; il se lit en suivant le fil littérature francophone et en cliquant sur Abeille. Ce long texte cerne avec finesse l'univers du cycle des contrées. Il nous fait la grâce d'intégrer la matière de deux entretiens dans la trame de son article de fond. Cette quête aux marges est lumineuse. Je vous la recommande chaudement.
Le Nouvel obs l'aime bien aussi, Jacques Abeille. il lui a consacré deux entretiens journalistiquement plus classiques: l'un sur les Jardins statuaires, l'autre sur Les barbares et La barbarie.

 

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