Notes de progression

L'Au bout de la langue de Martin Rueff tient un peu trop à mon goût de l'exercice scolaire convenu qui consiste à aligner des savoirs glanés chez d'autres*, comme si l'accumulation acquérait par cette profusion un seuil d'inélégance tranquille qui contrarie la lecture plus qu'il ne la rend aimable♣

* La bibliographie, bien pensée, figure en fin d'ouvrage: elle s'assemble chapitre par chapitre plutôt qu'alphabétiquement♣


Pourtant, s'accrocher, puisque l'auteur est encore un inconnu, par confiance en la marque éditoriale aussi: les éditions NOUS réservent souvent d'heureuses surprises, sous forme de pépites discrètes♣

La table des matières a été conçue à la façon d'un récit enfilant les synthèses partielles habillées d'une livrée à l'entame identique♣ Un exemple, chapitre 14 (c'est le plus court à recopier !):

« Où l'on se demande ce que fait l'écrivain au bout de la langue et où l'on s'aide d'une belle formule de Paul Valéry. » 232

La formule: « Si donc l'on m'interroge; si l'on s'inquiète (comme il arrive, et parfois assez vivement) de ce que j'ai 'voulu dire' dans tel poème, je réponds que je n'ai pas voulu dire, mais voulu faire, et que ce fut l'intention de faire qui a voulu ce que j'ai dit... » 202

En alignant de la sorte ces originalités formelles permet de relativiser la tonalité quelque peu insatisfaite du premier paragraphe de ces notes rendant compte de la progression d'une lecture♣ Résoudre dès lors, par stratégie de lecture, de m'imprégner du paragraphe figurant dans la table des matières AVANT d'entamer la lecture du chapitre♣ C'eut été une bonne initiative éditoriale par ailleurs d'entamer chaque chapitre par ce paragraphe♣


Au bout du bout,
debout sur la langue
nullement par elle débouté
se décline ici
d'infinis cumuls variés
dont la diversité même
tient en partie à l'adversité
qu'éponge un univers éditorial
qu'il convient sans lassitude
de tenir en sustension
entre enfer & autodafé,
tous deux aux mains tendues
au-dessus du vide
comme parachevant
d'une allégeance poisseuse
à un cheveu de l'abîme
l'étrange perversion♣


Martin Rueff nous y donne à lire une portion de sa bibliothèque à laquelle il offre un tour de manège auquel il convie son lectorat, enfilant perles & métaphores, telle une langue tendue en-deçà de l'abîme, dont il convient de se prémunir en toute logique poétique, finalement♣ Est-ce quand l'intention de faire poétique reste coincée sur le bout de la langue que l'oeuvre se multiplie en ouvrages mis à la tâche, en faillissant à toute signification transmise à une lecture pourtant patiente, crayon en main, jusqu'à s'y incarner, s'y acharner♣

Il s'agit peut-être moins d'un essai de langue qu'un récit d'icelle, nourri aux frottements d'allumettes de sens qui flammèchent (ou pas, selon l'humeur du moment) alors que notre lecture s'emploie à y lisser pour soi la langue en guise de performance en notre for intérieur, là où toute force se dilue, s'il n'est pas pris garde aux avalements lingaux aussi incapacitants que leur sécation♣

La sémantique s'émancipe
de ses schèmes antiques
en foulant de neuves allées
aux moindres aléas lexicaux
d'origine grecque ancienne♣

En tout cas, les glanes tendent à se multiplier à mesure que s'approfondit une lecture qu'aucun autre ouvrage ne remplacera avant que celui-ci ait été dûment indagué♣ Face aux tant d'autres laissés là par lassitude/désintérêt/...

Une recension sur En attendant Nadeau ? Voici celle que Laurent Jenny a rédigée.

 

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